Tout le monde parle de paix mais personne n’éduque à la paix

Tout le monde parle de paix mais personne n’éduque à la paix

Gabriel Fauré, Cantique de Jean Racine

 La PaixMaguy Banq

« Tout le monde parle de paix mais personne n’éduque à la paix. On éduque pour la compétition, et la compétition marque le début de toutes les guerres. Quand on éduquera pour la coopération et pour nous offrir les uns les autres de la solidarité, ce jour-là alors on éduquera pour la paix. »

Maria Montessori

Alexandre Soljenitsyne, LE CRI. Le discours du prix Nobel, L’EXPRESS, Paris, no 1104, 4-11 septembre 1972, pp. 66-73.

Un jour, Dostoïevski a laissé échapper cette énigmatique remarque : « La beauté sauvera le monde.» Qu’est-ce que cela veut dire ? Pendant longtemps, j’ai pensé que ce n’étaient que des mots. Comment était-ce possible ? Quand donc, au cours de notre sanglante Histoire, la beauté a- t-elle sauvé quiconque de quoi que ce soit ? Ennobli, exalté, oui. Mais qui a été sauvé ?

Il existe, toutefois, une certaine particularité dans l’essence même de la beauté et dans la nature même de l’art : la conviction profonde qu’entraîne une vraie oeuvre d’art est absolument irréfutable, et elle contraint même le coeur le plus hostile à se soumettre. (…)

[…] au cours des dernières décennies, imperceptiblement mais rapidement, l’humanité est devenue une seule entité – source à la fois de confiance et de danger – de sorte que les chocs et les embrasements de l’une de ses parties sont immédiatement transmis aux autres, détruisant parfois une immunité nécessaire. (…) Dans les diverses parties du monde, les hommes appliquent leurs propres références aux événements, et ils les jugent, avec entêtement et confiance, en fonction d’elles, et non selon celles des autres. (…) C’est pourquoi nous considérons comme le, plus important, le plus pénible et le moins supportable ce qui est le plus proche de nous. Tout ce qui est loin, tout ce qui ne menace pas de nous envahir à l’instant et de franchir le seuil de notre porte même avec ses gémissements pathétiques, ses cris étouffés, ses vies détruites, ses millions de victimes – tout cela, nous le considérons comme parfaitement supportable et tolérable.

(…) Nous ne pouvons reprocher à la vision humaine cette dualité, cette incompréhension ahurissante de la peine d’un autre homme éloigné, car l’homme est ainsi fait. Mais, pour l’ensemble de l’humanité, unie en un seul bloc, cette incompréhension mutuelle présente la menace d’une destruction imminente et brutale. Un monde, une humanité ne peuvent exister en face de six, de quatre ou même de deux échelles de valeurs : nous serions déchirés par cette disparité de rythmes, cette dualité de vibrations. Si un homme avec deux cœurs n’est pas fait pour ce monde, nous ne pouvons pas non plus vivre avec cette dualité sur une même Terre.

Alors, qui coordonnera ces échelles de valeurs ? Et comment ? Qui créera pour l’humanité un seul système d’interprétation, valable pour le bien et le mal, pour ce qui est supportable et pour ce qui ne l’est pas ? Qui fera clairement comprendre à l’humanité ce qui est une souffrance réellement intolérable et ce qui n’est qu’une égratignure superficielle ? Qui orientera la colère des hommes contre ce qui est le plus terrible, et non plus contre ce qui est le plus proche ? Qui réussira à transposer une telle compréhension au-delà des limites de son expérience personnelle ? Qui réussira à faire comprendre à une créature humaine fanatique et bornée les joies et les peines de ses frères lointains, à lui faire comprendre ce dont il n’a lui-même aucune notion ?

Propagande, contrainte, preuves scientifiques, tout est inutile. Mais il existe heureusement un moyen de le faire dans ce monde : l’art, la littérature.

Les artistes peuvent accomplir ce miracle. Ils peuvent surmonter cette faiblesse caractéristique de l’homme qui n’apprend que de sa propre expérience tandis que l’expérience des autres ne le touche pas. L’art transmet d’un homme à l’autre, pendant leur bref séjour sur la Terre, tout le poids d’une très longue et inhabituelle expérience, avec ses fardeaux, ses couleurs, la sève de sa vie : il la recrée dans notre chair et nous permet d’en prendre possession, comme si elle était nôtre.

Emile Zola, Lettre à la jeunesse

Jeunesse, jeunesse ! Souviens-toi des souffrances que tes pères ont endurées, des terribles batailles où ils ont dû vaincre, pour conquérir la liberté dont tu jouis à cette heure. Si tu te sens indépendante, si tu peux aller et venir à ton gré, dire dans la presse ce que tu penses, avoir une opinion et l’exprimer publiquement, c’est que tes pères ont donné de leur intelligence et de leur sang. Tu n’es pas née sous la tyrannie, tu ignores ce que c’est que se réveiller chaque matin avec la botte d’un maître sur la poitrine, tu ne t’es pas battue pour échapper au sabre du dictateur, aux poids faux du mauvais juge. Remercie tes pères et ne commets pas le crime d’acclamer le mensonge, de faire campagne avec la force brutale, l’intolérance des fanatiques et la voracité des ambitieux. La dictature est au bout.

Hanan Schlesinger, « Conflit et identité en Israël-Palestine » in Religions : les lieux et les nœuds du dialogue, revue Pour un Monde plus humain, UP for Humanness, fev 2021

Nous, Israéliens et Palestiniens, nions le récit de l’autre. Nous nions la douleur de l’autre. Nous nions en fait l’existence de l’autre en tant que collectif légitime et digne de reconnaissance. Ce déni de l’identité même de l’autre est devenu une partie intégrante de notre propre identité. Vous ne pouvez pas être un bon Israélien, normatif et intègre, tout en reconnaissant l’histoire palestinienne. Et vous ne pouvez pas être un bon Palestinien, normatif et intègre, tout en reconnaissant l’histoire juive israélienne.

Nous faisons cela pour nous défendre, parce que nous percevons notre réalité comme un jeu à somme nulle. Chaque camp s’est enfermé dans son propre orgueil d’exclusivité, où si votre peuple est réel, le mien est un mensonge. Si votre connexion à la terre est légitime, alors la mienne est illégitime. Nous croyons tous deux que nous nous battons pour la vérité, mais il n’y en a qu’une.

La clé, bien sûr, est de comprendre que vous n’avez pas besoin d’avoir tort pour que j’aie raison. Nous devons trouver le moyen d’amener deux vérités dans un seul cœur. L’existence du peuple juif ne nécessite pas la non-existence du peuple palestinien. Le lien entre les Juifs et la terre n’annule pas le lien entre les Palestiniens et la terre. L’horreur de l’Holocauste ne nous oblige pas à ignorer et à effacer la Nakba.

Sabine Sicaud, « La Paix », Poèmes d’enfant, 1926

Comment je l’imagine ? Eh bien, je ne sais pas… Peut-être enfant, très blonde, et tenant dans ses bras des branches de glycine ?

Peut-être plus petite encore, ne sachant

Que sourire et jaser dans un berceau penchant Sous les doigts d’une vieille femme qui fredonne…

Parfois, je la crois vieille aussi… Belle, pourtant, De la beauté de ces Madones
Qu’on voit dans les vitraux anciens. Longtemps – Bien avant les vitraux – elle fut ce visage

Incliné sur la source, en un bleu paysage
Où les dieux grecs jouaient de la lyre, le soir.

Mais à peine un moment venait-elle s’asseoir Au pied des oliviers, parmi les violettes. Bellone avait tendu son arc… Il fallait fuir. Elle a tant fui, la douce forme qu’on n’arrête Que pour la menacer encore et la trahir !

Depuis que la terre est la terre
Elle fuit… Je la crois donc vieille et n’ose plus Toucher au voile qui lui prête son mystère. Est-elle humaine ? J’ai voulu
Voir un enfant aux prunelles si tendres !

Où ? Quand ? Sur quel chemin faut-il l’attendre
Et sous quels traits la reconnaîtront-ils
Ceux qui, depuis toujours, l’habillent de leur rêve ? Est-elle dans le bleu de ce jour qui s’achève

Ou dans l’aube du rose avril ?

Écartant, les blés mûrs, paysanne aux mains brunes Sourit-elle au soldat blessé ?
Comment la voyez-vous, pauvres gens harassés, Vous, mères qui pleurez, et vous, pêcheurs de lune ?

(…) Et puis, je me souviens…
Un son de flûte pur, si frais, aérien,
Parmi les accords lents et graves ; la sourdine De bourdonnants violoncelles vous berçant Comme un océan calme ; une cloche passant, Un chant d’oiseau, la Musique divine,
Cette musique d’une flotte qui jouait,
Une nuit, dans le chaud silence d’une ville ; Mozart te donnant sa grande âme, paix fragile…

Je me souviens…
Mais c’est peut-être, au fond, qui sait ?
Bien plus simple… Et c’est toi qui, la connais,
Sans t’en douter, vieil homme en houppelande, Vieux berger des sentiers blonds de genêts,
Cette paix des monts solitaires et des landes,
La paix qui n’a besoin que d’un grillon pour s’exprimer.

Au loin, la lueur d’une lampe ou d’une étoile ; Devant la porte, un peu d’air embaumé…
Comme c’est simple, vois ! Qui parlait de tes voiles Et pourquoi tant de mots pour te décrire ? Vois, Qu’importent les images : maison blanche,

Oasis, arc-en-ciel, angélus, bleus dimanches ! Qu’importe la façon dont chacun porte en soi, Même sans le savoir, ton reflet qui l’apaise, Douceur promise aux coeurs de bonne volonté…

Ah ! tant de verbes, d’adjectifs, de périphrases ! – Moi qui la sens parfois, dans le jardin, l’été,
Si près de se laisser convaincre et de rester Quand les hommes se taisent.

Étincelle du 6 juillet : l’inspiration

Étincelle du 6 juillet : l’inspiration

L’inspiration en musique

Musique : Ludovico Einaudi – Nuvole Bianche

L’inspiration dans la littérature, la poésie, le dictionnaire !


Inspiration
, nom féminin (du latin inspiratio, -onis, souffle)

1. Phase de la respiration pendant laquelle l’air atmosphérique, riche en oxygène, pénètre dans les poumons.

2. Mouvement intérieur, impulsion qui porte à faire, à suggérer ou à conseiller quelque action : Suivre son inspiration.

3. Enthousiasme, souffle créateur qui anime l’écrivain, l’artiste, le chercheur : Chercher l’inspiration. […]

Définition du Larousse.fr


C’est la Muse qui par elle-même rend certains hommes inspirés et qui, à travers ces hommes inspirés, forme une chaîne d’autres enthousiastes.

Platon, Ion, 533d-543b, IVe avant J.-C.


Qui s’instruit sans agir, laboure sans semer.

Proverbe arabe


Dans un texte célèbre de L’usage des plaisirs, Foucault avait déjà montré que faire de la philosophie, c’est tenter trois choses : penser autrement qu’on ne pense, voir les autres et les choses autrement qu’on ne les voit d’habitude, et au final, vivre autrement qu’on ne vivait auparavant. […] Grâce à ce travail en commun, philosopher a été d’emblée devenir autre, faire vivre en soi l’altérité, la faire entrer à la fois dans sa pensée et dans son existence : c’est pourquoi philosopher est depuis toujours un geste qui déconcerte et qui inquiète parce qu’il vient menacer la logique rassurante de l’identité.

Le même et l’autre. Philosophie de l’altérité. Conférence de Jean Lombard, 2017.


Lorsque j’entreprends un roman, c’est pour courir là où je ne suis pas, pour aller voir ce qui se passe chez les autres, pour me quitter, pour me réincarner.

Romain Gary, La nuit sera calme, 1974, Paris, Gallimard.


Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.

La mélancolie
Berce de doux chants
Mon cœur qui s’oublie
Aux soleils couchants.

Et d’étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,

Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
À de grands soleils
Couchants sur les grèves.

Paul Verlaine, Soleils couchants, Poèmes saturniens, 1866, Paris.


L’inspiration à travers une œuvre d’art

inspiration par une oeuvre d'art : la salle des taureaux de Lascaux II
Paroi de la grotte de Lascaux II (dessin original vers 20 000 av. J.-C.)


Cette Étincelle sur le thème de l’inspiration a été réalisée au Kawaa à Paris le 6 juillet 2021, lors de la soirée de présentation du livre « Étincelles – Des rencontres pour s’inspirer et grandir ensemble ». Commandez le livre dans votre librairie préférée (ISBN 978-2-304-04871-1) et découvrez les photos de la soirée ci-dessous !

Étincelle du 1er juin : l’amitié

Étincelle du 1er juin : l’amitié

Comment parler de l’amitié ? Qu’est-ce que ce sentiment évoque pour les auteurs, les artistes, et pour nous ? C’est le thème que Béatrice et Antoine ont proposé lors de l’Étincelle du 1er juin proposée par UP for Humanness, avec cette sélection de textes et d’œuvres d’art pour nous aider à y réfléchir.

L’œuvre d’art

Renoir étincelles l'amitié 

Pierre-Auguste Renoir, La leçon de piano, huile sur toile, 1889


L’amitié en musique

La version du Tede Poem, un chant slavon proposée au départ par Béatrice et Antoine était celle de l’ensemble musical Kiantado que vous pouvez retrouver sur leur page : https://kiantado.com/ressources/.

Nigel Short étincelles l'amitié

Nigel Short

Nous vous proposons d’accéder directement à cette version de Pavel Tchesnokov, sous la direction de Nigel Short.

 


L’amitié dans les textes

Jadis notre nature n’était pas ce qu’elle est à présent, elle était bien différente. D’abord il y avait trois espèces d’hommes, et non deux, comme aujourd’hui : le mâle, la femelle et, outre ces deux-là, une troisième composée des deux autres ; le nom seul en reste aujourd’hui, l’espèce a disparu. C’était l’espèce androgyne qui avait la forme et le nom des deux autres, mâle et femelle, dont elle était formée ; aujourd’hui elle n’existe plus et c’est un nom décrié. […] Et ces trois espèces étaient ainsi conformées parce que le mâle tirait son origine du soleil, la femelle de la terre, l’espèce mixte de la lune, qui participe de l’un et de l’autre.

Platon, Le Banquet


Selon le philosophe grec, l’amitié entre deux personnes pouvait prendre trois directions différentes. Le premier type d’amitié définie par Aristote est l’amitié « utile » ou « par intérêt ». Cette relation est donc basée sur un lien d’utilité : la relation vous apporte quelque chose de profitable (et à l’inverse, vous êtes tout aussi utile à votre ami). Le second type d’amitié est celui « du plaisir » : vous aimez avant tout être ensemble et organiser des activités pour profiter de ces moments à deux. Balades à vélo, cours de poterie ou tout simplement verre en terrasse, vous et votre ami être sur la même longueur d’ondes, qu’il s’agisse de vos valeurs ou de votre humour. Troisième sorte d’amitié selon Aristote, les amitiés dites du bien. Celles-ci sont basées sur le respect mutuel et l’admiration. Ce sont les amitiés qui prennent le plus de temps à construire, et elles sont généralement plus puissantes émotionnellement et plus durables.

Sara Jore-Pivet, « Les différents types d’amitié selon Aristote » dans Marie-Claire


Lorsque j’étais encore écolier et que le charme de mes compagnons faisait tous mes délices, gagné par les habitudes et les vices auxquels cet âge est enclin, je me donnai tout entier au sentiment d’affection et je me vouai à l’amour au point que rien ne me parut plus doux, plus agréable, plus avantageux que d’être aimé et d’aimer. Prise dans les fluctuations de diverses liaisons amicales, mon âme était ballotée çà et là ; ignorant les lois de la véritable amitié, elle se laissait souvent tromper par ce qui y ressemble.

Un jour enfin, le livre que Cicéron écrivit sur l’amitié me tomba entre les mains ; il m’apparut aussitôt profitable par la profondeur des idées émises, et délectable par la façon dont elles étaient exposées. Bien que je ne me voyais pas à la hauteur d’une telle amitié, je me félicitais cependant d’avoir découvert une espèce de méthode susceptible de canaliser les va-et-vient de mes amours et de mes affections. Quand il plut à mon bon Maître de remettre l’égaré sur la bonne voie, de relever l’homme abattu, de purifier le lépreux par son contact salutaire, laissant derrière moi les espoirs du siècle, j’entrai au monastère.

Aelred de Rievaulx (moine cistercien anglais du 12e siècle), L’amitié spirituelle, éditions de l’Abbaye de Bellefontaine – Le Cerf, 2019 (1991), p. 19


Un sentiment difficile à définir

Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
Il y a, au-delà de tout mon discours, et de ce que j’en puis dire particulièrement, [je] ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous être vus, et par des rapports que nous oyions l’un de l’autre, qui faisaient en notre affection plus d’effort que ne porte la raison des rapports – je crois par quelque ordonnance du ciel ; nous nous embrassions par nos noms.

Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si obligés entre nous, que rien dès lors ne nous fut si proche que l’un à l’autre. […] Ce n’est pas une spéciale considération, ni deux, ni trois, ni quatre, ni mille : c’est je ne sais quelle quintessence de tout ce mélange, qui ayant saisi toute ma volonté, l’amena se plonger et se perdre dans la sienne ; qui, ayant saisi toute sa volonté, l’amena se plonger et se perdre en la mienne, d’une faim, d’une concurrence pareille. Je dis perdre, à la vérité, ne nous réservant rien qui nous fût propre, ni qui fût ou sien, ou mien.

Michel de Montaigne, Les Essais, livre 1er, chapitre 28


Toute passion, en effet, quelque apparence éthérée qu’elle se donne, a sa racine dans l’instinct sexuel, ou même n’est pas autre chose qu’un instinct sexuel plus nettement déterminé, spécialisé ou, au sens exact du mot, individualisé. […]

[L’être humain] recherchera surtout dans un autre individu les perfections dont il est lui-même privé ; il ira jusqu’à trouver de la beauté dans les imperfections qui sont tout le contraire des siennes : les hommes de petite taille, par exemple, recherchent les femmes grandes, les blonds aiment les brunes, etc. (…) Les deux personnes doivent se neutraliser mutuellement comme l’acide et l’alcali pour former un sel neutre ».

Arthur Schopenhauer, Métaphysique de l’amour


L’amitié ou l’art de bien aimer

L’amitié est le miracle par lequel un être humain accepte de regarder à distance et sans s’approcher l’être même qui lui est nécessaire comme une nourriture. C’est la force d’âme qu’Eve n’a pas eue ; et pourtant elle n’avait pas besoin du fruit. Si elle avait eu faim au moment où elle regardait le fruit et si malgré cela elle était restée indéfiniment à le regarder sans faire un pas vers lui, elle aurait accompli un miracle analogue à celui de la parfaite amitié. […] L’amitié pure est une image de l’amitié originelle et parfaite qui est celle de la Trinité et qui est l’essence même de Dieu. Il est impossible que deux êtres humains soient un, et cependant respectent scrupuleusement la distance qui les sépare, si Dieu n’est pas présent en chacun d’eux.

Il écrivit une satire latine excellente, qui est publiée, par laquelle il excuse et explique la précipitation de notre intelligence, si promptement parvenue à sa perfection. Ayant si peu à durer, et ayant si tard commencé, car nous étions tous deux hommes faits, et lui plus de quelques années, elle n’avait point à perdre de temps et à se régler au patron des amitiés molles et régulières, auxquelles il faut tant de précautions de longue et préalable conversation. Celle-ci n’a point d’autre idée que d’elle-même, et ne se peut rapporter qu’à soi.

Simone Weil, Amitié. L’art de bien aimer, Rivages Poche, Payot, 2016, p. 37 et 43


Fraternel.

Un geste « fraternel », c’est sans rien dire la main posée sur l’épaule d’un ami qui vient de perdre un être cher ; c’est le mot juste envoyé au bon moment ; c’est le cadeau d’une dédicace qui vous rend soudain moins seul ; c’est le sourire à un enfant pour lui prouver qu’il est compris, qu’on n’est pas plus adulte que lui.

La fraternité est comme l’amour, dont elle fait d’ailleurs partie : il n’y a pas de fraternité sans preuves. Et ces preuves sont ces gestes.

Combien de révolutionnaires se gargarisèrent de Fraternité, sans être capable du moindre geste fraternel ? Divorce entre le substantif et l’adjectif qui augurait bien mail de leur Révolution. D’exprimer la fraternité, personne n’en eut plus le génie que Beethoven. Pour réveiller les foules et faire monter en elles la magie trouble de l’unisson, aucune autre musique, aucune autre symphonie mieux que sa 9e, n’en eurent plus le pouvoir.

Erik Orsenna, La passion de la fraternité Beethoven, Stock-Fayard, 2021, p. 231

Étincelle du 4 mai : sagesses

Étincelle du 4 mai : sagesses

Qu’ils soient issus des sagesses africaine, bouddhiste, confucianiste ou que ces textes aient été prononcés ou écrits par des politiques ou des philosophes, nous vous les proposons pour prendre du recul sur votre quotidien. Relisez votre vie, vos rencontres, vos questionnements, vos doutes à la lumière de ces écrits de sagesses…

Les sagesses dans l’art

Pallas de velletri étincelles sagesses

Athéna, ou Pallas de Velletri, musée du Louvre.
Le bronze d’origine, de 430 av. J.-C. environ, est généralement attribué à Crésilas.


Les sagesses en musique

La musique que nous vous proposons pour déconnecter ou pour accompagner la découverte de ces textes est la symphonie n°9 de Dvorak, dite « du nouveau monde ».


Les sagesses dans la philosophie…

« La Sagesse brille et ne se flétrit pas, elle se laisse voir aisément par ceux qui l’aiment et trouver par ceux qui la cherchent. Elle devance ceux qui la désirent en se faisant connaître la première. Quiconque part tôt vers elle ne se fatiguera pas, il la trouvera assise à sa porte. Et quiconque aura veillé à cause d’elle sera bientôt sans inquiétude, car, de son côté, elle circule en quêtede ceux qui sont dignes d’elle, elle leur apparaît avec bienveillance sur leurs sentiers et, dans chacune de leurs pensées, elle vient à leur rencontre. »

Le livre de la Sagesse 6,15-21


Ce qu’on cherche, on le trouve.

Sophocle


Les progrès de l’humanité se mesurent aux concessions que la folie des sages fait à la sagesse des fous.

Jean Jaurès


L’économie est fille de la sagesse et d’une raison éclairée : elle sait refuser le superflu pour se ménager le nécessaire.

Jean-Baptiste Say, Traité d’économie politique, 1803.


Nous proposons de perpétuer et de développer tout ce que la mondialisation apporte d’inter-solidarités et de fécondités culturelles, mais dans le même temps, nous proposons de restituer au local, au régional, au national, des autonomies vitales et de sauvegarder, favoriser partout les diversités naturelles. Il nous faut démondialiser pour donner toute sa place à l’économie solidaire, pour sauvegarder l’économie du terroir, préserver l’agriculture vivrière et l’alimentation qui est liée, les artisanats et les commerces de proximité.

Edgar MORIN et Stéphane HESSEL, Le chemin de l’espérance, 2011, Fayard


Nous vivons dans un monde d’interdépendances multiples : interdépendances des économies, des cultures, des institutions, des peuples qui lient les pays les uns aux autres ; interdépendances du social et de l’économique qui implique que l’on ne peut progresser durablement dans l’un de ces domaines sans progresser dans l’autre ; interdépendance de l’Homme avec la nature qui lie dès aujourd’hui le destin de l’humanité au soin qu’elle prendra de la planète.

Nous avons progressivement pris conscience de ces interdépendances, il nous faut apprendre à les gérer pour en faire des sources d’épanouissements pour tous et non des facteurs de peur et d’asservissement avec, pour conséquence, des replis et des exclusions. … Nous disposons d’un objectif qui est la réalisation des droits de l’Homme … et d’un instrument qui est la démocratie. Il est nécessaire de le rappeler en ces temps où certains seraient tenter de renoncer à les faire progresser.

Kofi ANNAN, préface de Chemin d’économie humaine, Le Cerf, 2016


Dans un pouvoir despotique la main lie le pied ; dans une démocratie c’est le pied qui lie la main.

Proverbe africain


Toute vie est une vie, tout tort causé à une vie exige réparation. Que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin, que nul ne fasse du tort à son prochain. Que nul ne martyrise son semblable. Une vie n’est pas plus ancienne, plus respectable qu’une autre vie, de même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie. 

Charte des chasseurs du Manden, Mali, mi XIIIe siècle. Traduction de Youssouf Tata Cissé


« Nature qui l’emporte sur culture est fruste, culture qui l’emporte sur nature est pédante. Seule leur combinaison harmonieuse donne l’homme de bien » ; « L’homme de bien est droit et juste, mais non raide et inflexible ; il sait se plier mais pas se courber » ; « De vrais homme de bien ne cherchent pas la compétition » ; « Aux yeux d’un père, un fils est toujours un fils, qu’il soit doué ou non »

Confucius Lunyu VI, 16 ; ? ; III,7 ; XI, 7


La vie est une succession de changements naturels. Ne résistez pas car cela ne générera que des soucis. Laissez la réalité être la réalité. Laissez faire naturellement les choses. Il est plus intelligent d’allumer une toute petite lampe que de se plaindre de l’obscurité. L’homme qui ne tente rien ne se trompe qu’une fois.

Lao Tseu


« Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre. L’idée nous paraît étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et le miroitement de l’eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter ? Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple. Chaque aiguille de pin luisante, chaque rive sableuse, chaque lambeau de brume dans les bois sombres, chaque clairière et chaque bourdonnement d’insecte sont sacrés dans le souvenir et l’expérience de mon peuple. La sève qui coule dans les arbres transporte les souvenirs de l’homme rouge. »

« Les morts des hommes blancs oublient le pays de leur naissance lorsqu’ils vont se promener parmi les étoiles. Nos morts n’oublient jamais cette terre magnifique, car elle est la mère de l’homme rouge. Nous sommes une partie de la terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos sœurs ; le cerf, le cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et l’homme, tous appartiennent à la même famille. Aussi lorsque le Grand Chef à Washington envoie dire qu’il veut acheter notre terre, demande-t-il beaucoup de nous. …»

Lettre du chef Seattle au Président Franklin Pierce, 1854 (Un faux si vrai !)


« Les pauvres sont les créateurs, la source même de tous les idéaux de l’humanité, car c’est à travers l’injustice que l’humanité a découvert la justice, à travers la haine, l’amour, à travers la tyrannie, l’égalité de tous les hommes.

Joseph Wresinski


Vous voulez trouver le feu ? Cherchez-le dans la cendre. »

Rav (Rabbi) de Sassov


« La sagesse se caractérise par la lucidité sur les imperfections du monde mais ne s’y résigne pas. En ce sens, elle a une prétention naturelle à se rapprocher de l’utopie. … Elle s’en distingue toutefois par les moyens et, dans ces moyens la clé est l’éducation.

L’éducation, non comme une marchandise, un capital économique, un investissement personnel et des familles dans le cadre d’une mise en concurrence sur le marché du travail, et implicitement du pouvoir social. Mais comme formation à 360 degrés des citoyens afin qu’ils soient eux-mêmes les premiers acteurs de la sagesse, maîtres de leur corps et de leurs pensées, et les premiers juges vigilants d’un bon fonctionnement des institutions sans lesquelles aucune société n’est viable. »

Jean-Joseph BOILLOT, Utopies made in Monde, 2021, Odile Jacob, p.385


Pour qu’un enfant grandisse il faut tout un village.

Proverbe africain

Finir en beauté avec l’hymne de UP for Humanness

L’humanité est unité, fais-la grandir

L’autre est précieux, rencontre-le

La vérité est infinie, cherche-la

La Terre est notre paradis, cultive-le

Chaque personne est une histoire sacrée, défends-la

Ce que tu as éprouvé de beau, transmets-le

La vie est mouvement, deviens ce que tu es

Aime la justice, ose être libre

Le travail est une force, fais lumière sur les talents

Pardonne-toi, pardonne-leur

La violence est odieuse, construis la paix

La souffrance n’a aucun sens, fais-toi proche

Que le jour se lève et que l’ombre s’enfuie !

Étincelle du 6 avril : l’accueil

Étincelle du 6 avril : l’accueil

Accueil d’autrui, accueil de la différence, d’un autre point de vue ou encore non accueil. Voici les thèmes qui furent abordés dans l’Étincelle du 6 avril consacrée à ce sujet. Retrouvez ici l’oeuvre d’art, la musique et les textes choisis pour partager autour de l’accueil.

L’accueil dans l’art

Restout la naissance de la vierge Etincelle accueilJean Restout, La naissance de la Vierge, 1744

L’accueil en musique

La musique du jour nous est proposée par Guive & the Ora (The Original Reggae Addicts).

L’accueil dans la poésie…

Sur le seuil

Et voilà que sur le seuil, je m’arrête.
Sur quel seuil de quelle maison ?
Si c’est la tienne, suis-je bienvenu ?
Je suis tenté de faire marche arrière, de ne frapper à la porte.
Après tout, elle est fermée.

J’ai tant rêvé de portes ouvertes.
A travers, je perçois des voix,
la mienne pourra-t-elle s’entendre, faire symphonie ?
C’est sûr, je ne suis pas toi, pas comme toi pas pareil.
Et pourtant semblable.

Et voilà que sur le seuil, je me demande qui est mon semblable.
Je sais bien que parfois on se sent plus proche
du chat ou du chien que de son voisin.

Et voilà que dans l’œil,
Quand s’écartent les taillis de la vie, les œillères têtues des préjugés,
s’ouvrent des sentiers de beauté,
bordés d’arbres qui retentissent d’oiseaux,
des mains serrées qui osent un langage de fraternité, des visages éclairés.

Yves Béal, 2016, in Le ciment des racines, Ed. Un euro ne fait pas le printemps


…dans la philosophie…

En fait c’est dans son incertitude que réside largement la valeur de la philosophie. Celui qui ne s’y est pas frotté traverse l’existence comme un prisonnier : prisonnier des préjugés du sens commun, des croyances de son pays ou de son temps, de convictions qui ont grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison.

Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini, fini, évident ; les objets ordinaires ne font pas naître de questions et les possibilités peu familières sont rejetées avec mépris. Dès que nous commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons que même les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels on ne trouve que des réponses très incomplètes.

Sans doute la philosophie ne nous apprend pas de façon certaine la vraie solution aux doutes qu’elle fait surgir : mais elle suggère les possibilités nouvelles, elle élargit le champ de la pensée en la libérant de la tyrannie de l’habitude. Elle amoindrit notre impression de savoir ce que sont les choses, mais elle augmente notre connaissance de ce qu’elles pourraient être ; elle détruit le dogmatisme arrogant de ceux qui n’ont jamais traversé le doute libérateur, et elle maintient vivante notre faculté d’émerveillement en nous montrant les choses familières sous un aspect nouveau.

Bertrand Russell, Problèmes de philosophie, 1912


…et dans la littérature

Une énorme porte verte sans serrure, une petite encoche avec des grilles. Par un sas un gardien me regarde, l’air soupçonneux. Il me demande le motif de ma visite et ma carte d’identité. J’attends. Il fait froid. On est en avril. Le gardien revient avec une énorme clé. J’entre enfin.

D’abord le système pour détecter les métaux. Bien évidemment, il s’emballe. Je vide mes poches, mon sac est fouillé. « Bien, laissez votre casque de moto ici, je vais appeler pour voir si vous êtes attendue. » […] On ouvre une grille, puis une autre. J’arrive alors dans une espèce de cathédrale bizarre aux murs tout écaillés, d’où partent six chemins qui paraissent sans fin.

Au milieu de ce carrefour, une multitude de gardiens qui rigolent autour d’une tour centrale, tout en verre, très kitsch ; des groupes de gens qui bavardent. […] Une pendule circulaire, de taille imposante, arrêtée depuis plus de quinze ans. Encore un sas, des grilles partout, et une énorme porte sans aucune ouverture : le mitard. Un gardien qu’on appelle le bricard vient ouvrir avec un trousseau de clés impressionnant. Je grimpe un escalier en colimaçon. Je suis enfin arrivée au but.

Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, 2000, Ed. Le cherche midi


Ne reculer devant rien ; accueillir l’inconnu avec joie ; ne pas gémir inutilement sur la souffrance, mais en faire, avec fermeté, un fond noir pour les joies claires afin d’accroître leur éclat.

Elizabeth Goudge, L’Arche dans la tempête, 1934


Elle aimait prolonger cet état de latence, d’engourdissement, ne rien prévoir, laisser aller les choses comme elles venaient, accueillir l’étirement du temps.

Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit, 2011


et un essai de définition

L’accueil n’est pas une essence isolée, comme on veut parfois le laisser entendre, lorsqu’on le compare trop rapidement au recueil et au recueillement. Au contraire, loin de s’identifier à un repli sur soi, à l’opposé sans doute du recueillement, l’accueil est un rapport à l’extériorité, une ouverture par laquelle on se tient sur un seuil entre soi et l’autre, ou entre soi et les autres.
Le seuil, c’est comme le pas de la porte : je ne suis plus tout à fait dedans, à l’abri de la maison, qui est l’abri contre l’extériorité, et même qui est l’abri contre l’altérité. La notion de seuil suggère une oscillation entre le dedans et le dehors. […] Au delà du seuil existe l’inconnu (et c’est pourtant l’inconnu que l’accueil devra recevoir) affecté de la dangerosité, réelle ou fantasmée ; généralement, est dangereux ce qui menace de me forcer à changer, et tout ce qui se tient dans la complète extériorité qui s’étale au-delà du seuil me contraint à changer dès que j’entre en rapport avec lui. Le seuil est le lieu où on se tient entre soi et l’autre, un lieu où l’on se découvre, où l’on s’expose à un certain risque. […]

Cette volonté d’accueillir n’est pas spontanée : elle s’accompagne d’un effort. L’effort est cette décision de l’esprit qui nous arrache aux habitudes, aux automatismes et aux mécanismes, dans la poursuite d’un but que l’on s’est librement proposé. L’accueil exige, sur le fond d’un acte de la volonté, un effort qui bouscule l’accueillant dans son confort et dans ses habitudes, et même dans sa vie quotidienne. Qui veut se faire accueillant doit se faire violence, et accepter d’être bousculé dans son confort. […]

Donc la question doit toujours être posée ainsi : accueil de qui ? accueil de quoi ? Toujours de l’autre, toujours de l’étranger, toujours de l’inconnu ; bref, il n’y a d’accueil que de l’altérité.

Robert Redeker, Qu’est-ce que l’accueil ?, 2001, conférence

Finir en beauté avec l’hymne de UP for Humanness

L’humanité est unité, fais-la grandir

L’autre est précieux, rencontre-le

La vérité est infinie, cherche-la

La Terre est notre paradis, cultive-le

Chaque personne est une histoire sacrée, défends-la

Ce que tu as éprouvé de beau, transmets-le

La vie est mouvement, deviens ce que tu es

Aime la justice, ose être libre

Le travail est une force, fais lumière sur les talents

Pardonne-toi, pardonne-leur

La violence est odieuse, construis la paix

La souffrance n’a aucun sens, fais-toi proche

Que le jour se lève et que l’ombre s’enfuie !