Le patient expert en addictologie : une ressource pour la précarité ?

par , | 7 Jan 2025 | Santé et soin, Vie associative

Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en février-avril 2023

Si les maladies mentales peuvent affecter tout le monde, les personnes en situation de précarité y sont particulièrement exposées et ce notamment à travers l’addiction. C’est fortes de leur expérience au sein des colocations Lazare qui accueillent ces personnes en difficultés, mais aussi de leur expérience personnelle et professionnelle qu’Ariane Pommery et Micheline Claudon nous éclairent sur ces addictions en soulignant le rôle majeur que peuvent avoir les patients experts -comme Ariane- qui s’engagent dans l’écoute, la compréhension et le soin des personnes atteintes d’addictions.

Un consensus existe aujourd’hui : la question des addictions se doit d’être prise en compte dans l’accompagnement des personnes en situation de précarité. Plus que l’option thérapeutique choisie (la Réduction Des Risques et des Dommages (RDRD) ou la sobriété) nous présentons ici une expérience originale vécue au sein des maisons Lazare1.

Dans un fonctionnement de colocation solidaire, ces maisons accueillent des personnes en situation de précarité grâce à des couples responsables et des jeunes professionnels qui s’engagent pour une durée respective de trois ans pour les couples et d’un an pour les jeunes professionnels. Les personnes accueillies en situation de précarité n’ont pas de limite de durée de leur accueil, ce qui permet de proposer un accompagnement psychiatrique et/ou addictologique dans la durée et de se projeter dans un lieu de vie durable avec leur chambre.

Face à l’augmentation des problématiques addictives au sein de ces maisons, l’équipe d’encadrement a accepté depuis 2021 qu’un patient expert en addictologie2, 3 par maison, formé et supervisé par le Centre de Formation Continue de l’AP-HP (CFCPH), soit l’interlocuteur privilégié des personnes précaires afin d’évaluer la demande et de les accompagner pour cheminer vers le soin. Nous nous sommes appuyés sur les trois piliers évoqués par le Centre collaborateur de l’OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS) lors de l’expérimentation des Médiateurs de Santé Pairs4 pour construire cette expérience :

  • Juste distance : ayant vécu l’addiction, les patients experts peuvent s’autoriser une proximité différente de celle des soignants ou même des familles responsables dans le cadre des maisons Lazare ;
  • Identification réciproque : les personnes souffrant d’addiction peuvent facilement s’identifier aux patients experts, qui expriment à travers leur expérience, la privation de liberté que peut représenter l’addiction, mais aussi et surtout le besoin d’accepter de l’aide et du soin (y compris soin psychiatrique) ;
  • Bilinguisme : les patients experts connaissent bien le langage de l’addiction mais peuvent aussi traduire pour les patients le langage du soin (addictologique ou psychiatrique).

Grâce notamment à ce dernier point, les patients experts, après avoir pris contact avec les équipes locales, proposent aux personnes en situation d’addiction de les guider vers le soin en décrivant précisément les différentes options thérapeutiques qui seront proposées. Ce cheminement se fait toujours dans chaque maison en concertation avec l’équipe d’encadrement, les travailleurs sociaux impliqués, les responsables et les couples. En amont et en aval des problématiques addictives, nous rencontrons des troubles psychiques qui peuvent être masqués ou révélés par les conduites addictives et lourdement impacter l’intégration des personnes précaires au sein des maisons Lazare.

Plus que l’adhésion au soin grâce à l’identification réciproque, nous avons dû faire face aux difficultés générales que connaît la psychiatrie, à savoir l’obtention d’un rendez-vous et plus encore d’un suivi addictologique et psychiatrique.

Le réseau de soin psychiatrique et addictologique étant souvent saturé, nous avons expérimenté différentes options thérapeutiques à partir des propositions identifiées dans chaque lieu afin d’établir des partenariats pérennes à partir d’un réseau de proximité (médecin généraliste addictologue, psychiatre référent, etc.).

Le lien de proximité établi avec les patients experts et les personnes en situation de précarité a permis à plusieurs reprises de poursuivre l’accompagnement alors que, pour des raisons de comportement, souvent en lien avec des problématiques psychiatriques, une exclusion de la maison Lazare avait été signifiée. Afin de réduire ce risque d’exclusion, nous avons aujourd’hui choisi de prendre davantage en compte en amont les troubles psychiatriques préexistants et de demander aux personnes accueillies de reprendre ou poursuivre le soin avant même d’intégrer la maison. Il en est de même des problématiques addictives qui peuvent faire l’objet d’un soin avant même l’intégration au sein de la maison.

Enfin, nous avons constaté combien des soirées d’échange animées par les patients experts sur la question des addictions permet de modifier les représentations5des personnes accueillies mais aussi des personnes accueillantes et d’engager un dialogue constructif sur cette problématique.

2 Traité Addictologie Elsevier Masson, septembre 2017 Place et rôle du patient expert en alcoologie, chapitre 24, p. 415-427

3 Pommery – de Villeneuve, A « Une expérience de patient expert en addictologie : d’une intuition clinique à la certification de patient expert », Raison présente, vol. 223-224, no. 3-4, 2022, pp. 133-143.

4 Roelandt JL, Staedel B, Rafael F,et al. « Programme Médiateurs de santé/Pairs. Rapport final de l’expérimentation 2010-2014. CCOMS », EPSM Lille Métropole; 2015 p 31 à 32

5 Gomez H, Claudon M, Ostermann G Les représentations de l’alcoolique : Images et préjugés, Eres, 2015 Bacchus

Micheline Claudon

Pendant toute sa carrière à l’hôpital Bichat en tant que psychologue clinicienne, elle a œuvré pour les patients dépendants et amélioré leur parcours de soin en créant le concept et la formalisation du patient expert en addictologie. Elle continue à aider les patients et forme tous les publics à libérer la parole selon une technique innovante et efficace.

Ariane Pommery

Après avoir été enfermée dans les addictions pendant plus de vingt ans, cette juriste d’entreprise a décidé de devenir patient expert pour aider ses pairs, libérer la parole des personnes addictes aussi bien dans les hôpitaux qu’à l’université ou dans les entreprises par des formations.

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