Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en février-avril 2023
Florian Dosne souffre de bipolarité, un handicap psychique à la fois connu de tous et abstrait pour la plupart de ceux qui ne le vivent pas. S’illustrant par un trouble récurrent de l’humeur alternant des phases d’expansion, avec une augmentation de l’énergie et des activités, « manie » ou « hypomanie », et des baisses de l’humeur, « dépression », avec des intervalles libres plus ou moins longs. Pour notre revue, Florian a accepté de se replonger dans le vécu douloureux qu’il a eu du temps de l’ignorance, de l’errance.
Voilà plusieurs années que je suis heureux de vivre dans une grande espérance. Lorsqu’on est bipolaire, cette confiance intérieure est une quête parfois inespérée. Après de longs moments de désespoir et d’euphorie, j’ai trouvé cette paix que je vis comme un cadeau.
Cette maladie est éprouvante pour l’âme et l’esprit. En France, 1,6 million de personnes sont concernées par la bipolarité qui peut être déclenchée par un ou plusieurs traumatismes. Les vécus de chacun sont donc très individuels et tout aussi variés.
Pour ma part, j’ai été malade pour la première fois à 20 ans après un voyage en Inde. Le choc culturel et la pauvreté m’ont fait vivre un fort traumatisme. Le diagnostic est tombé huit ans plus tard. Ces huit années d’errance diagnostique furent particulièrement difficiles. L’errance diagnostique couvre la période des premiers symptômes jusqu’à la date à laquelle un diagnostic précis est posé. Durant ce temps, j’ai vu plusieurs psychiatres qui pour la majorité ne m’ont jamais parlé ouvertement de cette maladie (2 à 5 psychiatres sont en moyenne consultés dans une période d’errance1).
La décision d’annoncer un diagnostic à un patient n’est pas anodine, elle peut aussi bien délivrer le patient que lui faire peur.
Les personnes malades sont tentées de changer fréquemment de médecin car elles n’ont pas de réponses précises. Certaines d’entre elles baissent les bras quand d’autres, par phases, se mettent à chercher un nouveau médecin lors de l’apparition de nouveaux symptômes. Je crois, et cela me semble sain, que les psychiatres s’arment de prudence et ne veulent pas « enfermer » les patients dans une maladie. Ils souhaitent attendre le bon moment pour poser ce diagnostic. La décision d’annoncer un diagnostic à un patient n’est pas anodine, elle peut aussi bien délivrer le patient que lui faire peur. L’errance peut aussi continuer d’exister à cause du déni du patient, et de l’entourage, famille ou amis.
Je crois que le déni est une posture intellectuelle qui bloque l’acceptation de la maladie. L’entourage pense rassurer le proche malade en lui disant que tout va bien se passer, qu’il n’est pas concerné par la maladie et que ce n’est qu’une petite dépression. Mais le déni peut tuer ! L’incompréhension de l’entourage est ainsi une épreuve supplémentaire. J’ai compris à quel point il fallait être très rigoureux sur la prise de médicaments si le traitement nous semblait le bon. Il est très important de faire confiance à son médecin et de prendre son traitement tous les jours. Certaines personnes malades, et je les comprends, arrêtent leur traitement car il fait grossir ou qu’elles pensent ne plus en avoir besoin, c’est une mise en danger considérable. Le patient est hospitalisé et gravement malade, il fait des rechutes douloureuses pour lui.
L’importance est aussi d’être accompagné par un thérapeute compétent qui puisse collaborer en bonne intelligence avec le psychiatre. Les patients doivent gagner en autonomie et devenir acteurs dans le processus de soin. Plus on est accompagné, soigné, pris en charge, mieux on accepte le principe d’être malade. La prudence des psychiatres vient aussi de leur devoir de s’assurer que le trouble ne résulte pas d’une autre maladie, qui serait non psychiatrique. Il faut donc parfois des mois, voire des années avant que le diagnostic ne soit posé. Pendant ce temps, la personne malade peut ne pas avoir le bon traitement. Souvent, elle ne peut mettre en œuvre ce qu’il faut pour se soigner. Le temps de l’errance est souvent, aussi, le temps de la peur et du découragement. L’absence de diagnostic dégrade considérablement la santé car la maladie appelle à un traitement spécifique que le patient n’a pas. Je pense aussi que les psychiatres doivent se former aux méthodes thérapeutiques pour avoir un échange plus approfondi avec leur patient. Cela ne semble pas normal qu’un rendez-vous avec son psychiatre ne dure qu’un quart d’heure… Il faut un pont entre la thérapeute, la famille et le psychiatre. Cette alliance est salvatrice !
1 Observatoire des maladies rares, 2023.
Florian Dosne
Il est âgé de 33 ans et habite à Paris. Après avoir fait une école de commerce, Florian travaille dans l’agro-alimentaire avant de rejoindre le social au Secours Catholique notamment. Aujourd’hui, Florian travaille chez HELEBOR une structure privée qui crée et finance des projets innovants en soins palliatifs. Florian est bipolaire et auteur du livre Ma vie aux deux extrêmes publié chez Mame en 2022 sous pseudonyme « Florian Vallières ». Florian a levé l’anonymat de son livre il y a peu et témoigne auprès de personnes malades et proches aidants.