Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en mars 2025
« Le système de santé est malade ». Comment le changer, comment accompagner ce changement, vers où l’orienter ? Ce sont les questions auxquelles répond Gérard Raymond le président de France Assos Santé dans cet article. La priorité selon lui est de simplifier l’accès au soin en favorisant la coopération entre tous les acteurs qu’ils soient soignants, patients ou aidants.
Le temps et le soin dans les établissements de santé ou la nécessité d’une vision globale de l’offre de soin
La question du temps de soin et donc de la qualité du soin repose beaucoup sur l’organisation de notre système de santé qui va de mal en pis. Dans une étude récente de NèreS¹, la confiance des citoyens vis-à-vis du système de santé était de 65 %, ayant chuté de 19 points par rapport à l’année précédente. Le système de santé est malade : dégradation de l’état de santé de la population tant physique que mentale, renoncements aux soins (68 % des Français déclarent qu’il leur ait difficile d’accéder à un professionnel de santé). Nous n’avons pas su l’adapter aux évolutions de la société, à la manière dont on veut vivre avec la maladie aujourd’hui, aux évolutions démographiques et sociales, aux différents rapports au travail que nous observons.
En outre, on sépare encore trop l’offre de soin entre l’hôpital et la ville. Or l’offre de soin revêt l’ensemble de l’offre d’un territoire entre tous ses professionnels de ville, ses maisons de santé, ses établissements, ses hôpitaux. Aujourd’hui, il faut environ 3 jours pour voir un médecin, 6 millions de personnes sont sans médecin traitant et l’hôpital est engorgé. 50 % environ des personnes qui vont à l’hôpital ne devraient pas y aller. L’hôpital doit être un lieu d’actes techniques et d’expertise. Il est inutile d’apporter des financements et du personnel si on ne réforme pas en profondeur le système. On met des rustines sur un système qui dysfonctionne. Refonder efficacement suppose vision, formation des différents acteurs mais aussi management des équipes.
Les patients sont perdus dans les arcanes d’un système complexe mal coordonné ; et pourtant les outils existent grâce au numérique. Si on fait bon usage de Mon Espace Santé, tous les professionnels peuvent être reliés avec la même information autour d’un patient.
Nous pouvons rêver d’un modèle de coordination où la personne malade appelle le SAS (Service d’Accès aux Soins) qui par un questionnement structuré permet de l’orienter. Le médecin traitant peut ainsi être prévenu et obtient les informations nécessaires consignées dans l’espace santé de la personne. Le médecin traitant après consultation oriente vers un spécialiste ou fait appel à un avis d’expert à distance. Le spécialiste le cas échéant envoie son diagnostic et ses observations par messagerie sécurisée et oriente vers une prise en soin en ville avec différents professionnels libéraux coordonnés ou vers l’hôpital. Si un acte technique ou une chirurgie est préconisée, l’hôpital de proximité prépare la personne qui ira dans l’hôpital expert en ambulatoire. Les soins de suite seront réalisés dans l’hôpital de proximité ou à domicile avec un référent de coordination pour organiser les soins des différents professionnels requis.
La T2A (Tarification à l’activité) fut une erreur dans l’ampleur qu’on lui a donnée. On a voulu tout mettre sous ce régime alors qu’une rémunération à l’acte n’a par exemple pas de sens pour une maladie chronique et est en plus source de gaspillage. Une rémunération au parcours permet une plus grande souplesse et agilité de l’organisation bénéfique pour les patients comme pour les soignants. Mais cela suppose une vraie culture de l’évaluation et du partage des compétences. À la fin de l’année, on évaluerait l’efficacité thérapeutique et la qualité de vie de la personne malade. La rémunération ou une partie serait revue en fonction des besoins réels et des objectifs réalisés.
Par ailleurs, la population est ignorante sur les coûts de la santé. Il est indispensable d’acculturer les citoyens à notre modèle de santé et aux dépenses que cela implique pour les former aussi au juste recours à nos différentes structures et offres de santé. Aujourd’hui les seules portes d’entrée sont le médecin traitant ou les urgences. Cela embolise le système. Le développement des SAS et la sensibilisation de la population générale à son recours deviennent urgents. De même la clarification des missions des différents professionnels de proximité (pharmaciens…) et la possibilité d’un relai efficace qu’ils peuvent organiser ensemble autour des patients sont indispensables (entretiens, orientations, premiers soins).
Nous avons 90 000 médecins généralistes sur le territoire dont 70 000 qui professent. En Allemagne, ils en ont 50 000. Nous pouvons nous interroger sur le fait qu’en France, il faille plusieurs jours pour joindre son médecin traitant ! En Allemagne, chaque médecin a deux assistants et travaille donc en équipe !
Prenons l’exemple du diabète. Aujourd’hui, un patient diabétique voit 9 fois son médecin traitant. C’est trop ! Il pourrait y avoir une consultation avec le médecin en début d’année pour définir le projet de soins individualisé. L’Infirmière de Pratique Avancée accompagnerait le patient tout au long de l’année en suivant les objectifs et en renouvelant les ordonnances. Si les indicateurs restent conformes, le patient ne reverrait son médecin qu’en fin d’année pour un bilan. Les médecins ne semblent pas vouloir de cette organisation partenariale. Il ne doit plus être question de délégation de tâches mais d’un partage des compétences et d’informations centralisées et partagées dans Mon Espace Santé. Cette centralisation et ce partage des informations font également peur aux praticiens, pas encore suffisamment acculturés à la transparence, l’évaluation et la collégialité pour certains.
Distances entre les attentes et besoins des personnes malades et des professionnels de santé : question de temps, d’humanité et de formation
L’accueil, l’offre, la posture des soignants ne sont plus en adéquation avec les attentes des patients. Le patient est celui qui souffre, en position de vulnérabilité. Il a donc besoin d’attention, d’écoute, de réconfort. La violence dont certains patients témoignent est bien souvent la conséquence d’un manque de temps et de soin réellement consacré à leur endroit par les soignants. N’est-ce pas légitime après 5 heures sur un brancard dans un couloir à moitié nu de réclamer un peu d’attention ? Les tensions entre patients et soignants croissent, la satisfaction et la confiance diminuent. Et en effet, les problèmes de sécurité, les erreurs médicales, la négligence voire la maltraitance augmentent.
Les professionnels de santé n’ont été que peu formés à la dimension humaine de leur métier et aucunement au management et c’est un manque encore plus criant en période de tension sur les effectifs. Le personnel a perdu le sens du métier. Le rapport au travail et au temps donné à son métier a évolué. Il y a un manque de valorisation des professionnels mais pas uniquement financière. L’argent ne saurait compenser le manque de reconnaissance et la valorisation des métiers du soin. Le système de santé et son management ne sont pas à la hauteur de l’éthique attendue. Pour gagner du temps, une infirmière ne referme pas la porte de la chambre et demande en criant le résultat de son test au patient pour convenir de la dose d’insuline… sans avoir vu le repas et échanger avec le patient de ce qu’il voudra manger… L’infirmière n’est pas coupable, on ne lui a pas appris et elle cherche l’efficacité pour pouvoir s’occuper de tous… Pourtant, une erreur peut ainsi être commise et le patient peut vivre cet échange comme une agression.
La formation et le management sont clés pour refonder un système de santé recentré sur le soin, l’accompagnement des personnes dans leur situation singulière avec excellence et humanité.
Du gaspillage au développement : orientation qualité
Le système de santé est un formidable acteur de développement : il est source d’emplois, d’innovations, de recherche. Nous dépensons pour lui 12 % de notre PIB, mais combien de dépenses sont gaspillées aujourd’hui ! Il faut développer l’efficience ou encore la sobriété, c’est-à-dire le bon médicament/traitement à la bonne personne au bon moment et avec la bonne coordination des acteurs pour le bon suivi. La sobriété, c’est la qualité ! C’est le dysfonctionnement qui coûte très cher, la multiplication des actes, l’errance thérapeutique, le cloisonnement des acteurs.
La coopération : passer du médecin traitant à l’équipe traitante
Beaucoup d’articles 51 ont vu le jour. Des professionnels de santé se sont regroupés pour créer des dynamiques territoriales avec par exemple des Maisons de santé pluriprofessionnelles. On observe une évolution positive des jeunes générations de libéraux à la collaboration. Mais ces initiatives ne sont pas assez soutenues. L’administratif et les corporatismes entravent cette belle dynamique. De même, l’Assurance Maladie ne sait pas encore payer le travail d’équipe, cela n’aide pas !
Je crois à « l’équipe traitante » sur un territoire donné, pluriprofessionnelle, coordonnée par un référent et un outil (messagerie sécurisée) qui permet le partage fiable d’informations, l’évaluation continue et un système d’alerte. Or dans cette équipe traitante, le patient est central et l’aidant a aussi sa place. Cela suppose des professionnels de santé formés à l’apport de l’expérience patient et aidant tout autant qu’au dialogue et à l’écoute.
La démocratie sanitaire et la reconnaissance du temps et de l’expérience des aidants
France Assos Santé développe la participation citoyenne des usagers avec la mise en place des commissions des usagers dans lesquelles siègent des représentants des usagers que France Assos Santé recrute et forme. Leur rôle devrait être élargi pour évaluer le fonctionnement, faire évoluer les pratiques. Il est important d’y associer des patients partenaires comme des aidants afin de travailler sur les contenus avec les soignants. Comment organise-t-on un service pour que le patient se sente bien, pas isolé ? Comment forme-t-on à l’éducation thérapeutique ? Comment est vécu la maladie par rapport à son projet de vie ?
Les patients et les aidants peuvent réellement faire évoluer l’organisation des soins, le contenu scientifique comme le contenu pédagogique. À la Clinique Pasteur à Toulouse, vous êtes directement accueillis par la Maison des usagers et vous êtes accompagné par eux tout au long de votre parcours à l’hôpital y compris pour organiser votre sortie.
Développer la participation citoyenne est lié au management de l’établissement et à la formation des soignants. Sans une impulsion forte, le patient sera par facilité et habitude malheureusement enfermé dans une position d’attente, de soumission. L’aidant aussi. La question qui se pose est la reconnaissance de l’apport de l’aidant ou du patient partenaire. Il ne me semble pas qu’un salaire ou qu’un statut soit la solution. Cela enferme dans un métier ou dans un rôle qui doit pouvoir varier selon les personnes, les situations et leurs évolutions. Nous avons besoin de trouver une autre voie pour permettre répit aux aidants mais aussi valorisation du temps qu’ils donnent pour que l’accompagnement qu’il réalise auprès de leur proche malade ne rime pas avec précarisation, épuisement, isolement et risque pour leur santé. Crédit d’impôt ? Points de retraite ? Le défi est devant nous !
Le monde associatif peut bien entendu aider, mais il doit lui aussi se professionnaliser et développer ses compétences pour être des partenaires à la hauteur des enjeux. Le monde associatif doit aussi assumer la transformation du bénévolat. Les personnes s’engagent à travers des missions, des projets. Nous avons à refonder le milieu associatif, sa raison d’être, son fonctionnement et son financement pour mieux répondre aux attentes et aux besoins de nos concitoyens ainsi qu’aux transformations profondes de notre système de santé.
Revenons au soin : boussole d’innovation et d’engagement des soignants
On a perdu la boussole de notre système de santé : prendre soin. On soigne aujourd’hui bien plus les maladies que les personnes. Prendre soin c’est donner du temps, c’est-à-dire faire preuve d’écoute, de bienveillance, de compassion. Cela suppose d’être formés humainement. Cela suppose de se relayer, ce qui implique équipe, organisation et management.
Je terminerai sur un phénomène qui doit nous interroger et nous pousser à la transformation. Il y a encore 40 ans, 30 ans, le médecin avait l’aura de celui qui savait… même quand il ne savait pas. Aujourd’hui, alors que les médecins ont multiplié leurs savoirs, ils sont plus facilement remis en question. L’intelligence artificielle donnera ces savoirs directement, sera une aide au diagnostic performante. Alors l’efficience thérapeutique résidera dans la confiance que le soignant saura instaurer, dans sa capacité à se mettre à la portée de la personne malade, de partager les compétences avec d’autres, de travailler par l’écoute. Le savoir sera ailleurs mais l’humain sera au cœur de notre système de santé.
N’ayons pas peur du changement, il est urgent.
1 https://neres.fr/wp-content/uploads/2024/06/CP-Neres-Bulletin-de-sante-des-Francais-2024.pdf
Gérard Raymond
Président de France Assos Santé. Gérard a tout d’abord créé diverses associations pour promouvoir le développement de l’activité physique et sportive chez les personnes atteintes de diabète. Il rejoint l’Association Française des Diabétiques (AFD) dont il fut président. Il impulse la transformation de l’AFD en fédération et ce, jusqu’à la création du Diabète LAB en 2015 dont il est à l’origine. Il est élu à la tête de France Assos Santé en juin 2019, animé par la volonté de faire passer les associations de patients et d’usagers de la représentation à une participation pleine et entière, afin de devenir force de proposition et prendre leur part de responsabilité dans la construction du système de santé de demain. Il est aussi vice-président depuis 2019 du Health Data Hub, convaincu de l’importance de se saisir et d’accompagner l’émergence des outils numériques en santé. En 2021, Gérard a été nommé membre du Conseil économique social et environnemental (CESE) et promu au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Il est l’auteur de Quelle santé voulons-nous ? éditions Les carnets de l’info, 2011.