Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en mai 2025
C’est dès la formation des soignants que la problématique du temps apparaît et qu’il y a mise en risque du sens des études de médecine et de la pratique médicale selon Valentin de la Noue. Les temps de l’apprentissage et de l’équilibre semblent trop souvent sacrifiés. Dans cet article, il décrit avec précision le fonctionnement des études de médecine en en pointant des failles importantes. Il indique cependant des solutions concrètes à envisager pour soulager le système de santé et rendre aux études de médecine leur raison d’être.
Les études de médecine durent entre dix et douze ans selon la spécialité embrassée. Le numerus clausus de la première année a été remplacé par le numerus apertus qui établit le besoin de la région en lien avec les agences régionales de santé (ARS). Si ce changement est une avancée, il ne résout pas toutes les difficultés : les facultés sont au maximum de leurs capacités alors que la nécessité de formation est croissante¹. Afin que cette augmentation ne soit pas associée à une baisse de la qualité de la formation des étudiants, il est nécessaire qu’il y ait davantage de médecins hospitalo-universitaires pour les accompagner dans leurs premiers pas auprès des patients. Or, ces carrières hospitalo-universitaires manquent d’attractivité² ³. Ces professionnels jonglent entre l’activité de soins, l’enseignement et la recherche avec une reconnaissance limitée. Les étudiants arrivent de plus en plus nombreux dans les services, avec un médecin qui, en plus de prendre en charge les patients de son service, doit enseigner aux étudiants. En troisième ou quatrième année de médecine, cela varie en fonction des facultés, les étudiants en médecine entrent en second cycle, ils sont surnommés « externes ». Durant cette période, ils alternent entre une présence plus régulière à l’hôpital et l’apprentissage théorique de l’ensemble des disciplines de la médecine en vue de l’examen dématérialisé classant (EDN), historiquement appelé « concours de l’internat ». Après six ans de faculté, chaque étudiant décide d’une spécialité et d’une subdivision de rattachement. Chaque subdivision a un nombre de postes ouverts par spécialité par un arrêté du ministère de la santé après discussion avec différentes instances : collèges des enseignants, syndicats, ARS⁴.
Les étudiants en troisième cycle des études de santé sont plus communément connus sous le nom d’internes. Ils ont donc quatre à six années à effectuer dans différents services pour découvrir leurs spécialités. Ils travaillent en moyenne 59 heures par semaine, avec des spécialités où la moyenne est de 75 heures. Ce temps n’est hélas pas uniquement consacré à la formation ou aux soins : en moyenne, 41 % du temps des internes est consacré à du travail non médical⁵. Cette situation a des conséquences psycho-sociales réelles, avec une dernière enquête en 2021 qui retrouvait une prévalence du burn-out dans les 12 derniers mois de 49 % et 19 % d’idées suicidaires⁶. En plus de cela, l’hôpital ou les cabinets dans lesquels se rendent les internes ne sont pas tous des lieux bienveillants : au cours de leurs études, on trouve une prévalence de 23 % de faits d’humiliation et 25 % de harcèlement sexuel⁷. Pour que le soin soit optimal, il semble essentiel d’avoir des futurs médecins avec un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, avec un lieu de travail dans lequel ils peuvent se rendre sereinement, et dans lequel l’activité administrative soit à la marge et que le soin soit le cœur de l’activité.
Quelles solutions face à ces multiples problèmes ? Il existe de nombreux chefs de service bienveillants qui ont à cœur de prendre soin de ceux qui prennent soin et qui donnent de nombreuses pistes d’amélioration pour leurs services. Voici trois pistes, volontairement très générales, afin qu’elles puissent s’appliquer au plus grand nombre.
La première idée est d’être en mesure d’objectiver les écarts entre la charge en soin réellement effectuée et celle que le service devrait accepter en fonction du nombre de soignants et de la qualité des soins requise. Cette mesure permettrait d’établir un dialogue avec l’administration – qui peine parfois à s’amorcer s’il n’y a pas une donnée tangible – démontrant l’état d’épuisement des équipes et permettant une véritable quantification de la nécessité de recrutement. Actuellement, il n’existe aucun texte établissant les effectifs médicaux et paramédicaux nécessaires pour le fonctionnement d’un service en dehors des soins critiques. Sans cela, le risque est la fermeture de lits et donc un manquement à la mission.
La deuxième piste est de rendre l’hôpital public plus attractif. Ce choc d’attractivité doit permettre de déléguer davantage le temps de travail administratif afin de remettre le soin au cœur de la pratique médicale et paramédicale. En Norvège, des équipes dédiées au soutien administratif au sein de chaque service de santé contribuent à réduire la charge administrative pour les soignants. Cette organisation permet de limiter le temps consacré à l’administratif à moins de 20 % de leur emploi du temps, ce qui est bien en dessous des niveaux observés dans d’autres systèmes de santé⁸.
La troisième idée est de relancer la notion abandonnée lors du Ségur de la santé de gouvernance partagée afin que les personnels administratifs dialoguent avec les professionnels pour comprendre leurs contraintes et expliquer les leurs tout en se souvenant que l’objectif premier est de prendre soin de personnes malades.
1 Décryptage Les Échos du 29 février 2024 : « Pourquoi la fin du numerus clausus ne permet pas d’en finir avec la pénurie de médecins » – https://start.lesechos.fr/ apprendre/universites-ecoles/pourquoi-la-fin-du-numerusclausus-ne-permet-pas-den-finir-avec-la-penurie-demedecins-2079711 2 Dépêche AEF du 14 décembre 2023 : « «L’urgence est au renforcement de l’attractivité des carrières hospitalo-universitaires» (Sylvie Retailleau aux Assises HU) » – https://www.aefinfo.fr/depeche/704384-l-urgence-est-aurenforcement-de-l-attractivite-des-carrieres-hospitalouniversitaires-sylvie-retailleau-aux-assises-hu 3 Avis de l’Académie de Médecine du 30 juin 2021 sur l’attractivité des carrières hospitalo-universitaires – https://www. academie-medecine.fr/avis-sur-lattractivite-des-carriereshospitalo-universitaires/ 4 Arrêté du 7 juillet 2024 portant répartition des postes offerts aux étudiants ayant passé les épreuves classantes nationales anonymes donnant accès au troisième cycle des études de médecine au titre de l’année universitaire 2024-2025 – https://www.legifrance.gouv.fr/ jorf/id/JORFTEXT000049908602 5 Enquête « Temps de travail des internes » 2023 – ISNI / ISNAR-IMG / FNSIP-BM / SNIO – en cours de publication 6 Arrêté du 29 juin 2023 modifiant l’arrêté du 8 juillet 2022 relatif aux émoluments, rémunérations ou indemnités des personnels médicaux, pharmaceutiques et odontologiques exerçant leurs fonctions dans les établissements publics – https://www.legifrance. gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047774474 7 Rolland F, Hadouiri N, Haas-Jordache A, Gouy E, Mathieu L, Goulard A, Morvan Y, Frajerman A. Mental health and working conditions among French medical students : A nationwide study. J Affect Disord. 2022. 8 Norway: health system review 2020 – Health Systems in Transition, Vol. 22 No. 1 – https:// eurohealthobservatory.who.int/publications/i/norwayhealth-system-review-20
Valentin de la Noue
Valentin de Villiers de la Noue est docteur junior-Réanimation (MIR), président de l’Association Nationale des Jeunes MIR, et titulaire d’un master en éthique médicale. Il a été responsable de la commission respect des droits, pédagogie, bien-être et éthique de la subdivision de Reims et membre du comité égalité femmes-hommes du CHU de Reims. Il est engagé auprès de différentes associations.