Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en mai 2025
Le recours à l’intelligence artificielle est souvent présenté comme une solution aux problèmes qui concernent le temps et le soin. Avec cette proposition vient aussi souvent le soupçon que l’IA vole au soignant son métier et la peur d’être plus tard soigné par des robots. Isabella de Magny nous éclaire sur ce sujet en expliquant comment cet outil peut constituer un véritable progrès pour le système de soins… s’il est bien utilisé.
Explorons un possible scénario de prospective pour envisager l’impact du numérique et de l’IA sur les soins de santé.
Imaginons une jeune femme, Éva, 22 ans en 2040, souffrant d’une intense migraine. À cette date, la France aura segmenté les zones de santé selon l’accès aux technologies avancées et chaque citoyen aura accès à des plateformes immersives, succédant à Internet. Confrontée à une urgence, Éva utilisera ces plateformes pour consulter rapidement un médecin disponible, illustrant l’évolution des services publics de santé vers une intégration complète du numérique et de l’IA pour améliorer l’accessibilité et la qualité des soins.
Pour cette jeune femme, l’ensemble des données d’alerte va être remonté au médecin qui va pouvoir poser des questions au niveau de son sommeil, de son alimentation et cela en émettant l’hypothèse qu’en 2040, nous serons équipés de capteurs qui pourront générer des pré-diagnostics. Concrètement, dès le début de la consultation, le médecin qui l’accueillera dans son espace immersif pourra orienter son anamnèse en partie sur les alertes générées faisant de cette consultation un espace de dialogue très rapide permettant aussi la mise en place d’un plan de prévention, la prescription d’un test de prédisposition génétique, ou l’élaboration de recommandations pour le suivi des traitements.
Ces projections nous amènent à poser une série de questions. Pour s’aider de ces nouveaux assistants et avoir confiance, quels sont les défis à relever ? Pour établir la confiance entre ces nouveaux outils et les utilisateurs (patients et médecins), plusieurs notions se révèlent importantes à décrypter : transparence, redevabilité et explicabilité.
On ne peut avoir confiance dans les résultats d’une IA que si l’on tient compte des finalités attendues dès sa conception, de leurs conditions d’entrainements (tests réalisés, type de datasets), et des services qu’elle peut rendre. Cette information n’est pourtant pas nécessairement disponible et accessible instantanément. La transparence n’est qu’un premier niveau (celui de la divulgation d’un code informatique) et n’est pas une réponse satisfaisante pour apprécier la pertinence du résultat. La transparence n’est en ce sens pas une condition suffisante pour la confiance.
Une autre notion est celle de la redevabilité : être en capacité de rendre compte de ce que l’IA a fait et montrer que cela est conforme aux objectifs et au cadre règlementaire. Comprendre ce que l’IA est censée faire, comment elle a été entraînée, comment elle a été conçue pour le faire.
Enfin, cela devrait aboutir à une forme d’explicabilité : cela suppose une facilité réelle d’accès et du personnel formé pour rendre l’information claire et utilisable. Cela suppose de nouveaux métiers comme les assistants d’aide à la décision sanitaire. Sur demande, ils facilitent l’analyse, demandent l’extraction de données complémentaires et alertent si une évolution suspecte est identifiée. Ils disposent d’une formation approfondie en statistiques et épistémologie des big data et analyse/interprétation de données.
À noter que l’explicabilité ne fait pas la fiabilité. La demande d’une IA fiable va augmenter à mesure que la technologie sera de plus en plus utilisée dans des applications pratiques, avec des prises de décisions automatisées qui auront un potentiel impact sur la vie humaine. Il y a ainsi un enjeu sur la réduction des biais (un des exemples souvent cités est l’entrainement pour le dépistage des cancers de la peau en majorité sur des peaux blanches).
C’est l’ensemble de ces ingrédients qui vont à terme constituer un socle de confiance.
Cette vision d’un médecin bénéficiant de l’assistance de l’IA pour établir des pré-diagnostics est-elle souhaitable ? Le temps gagné permet-il un meilleur dialogue avec le patient ?
L’IA est particulièrement prometteuse dans l’analyse d’images pour le diagnostic en radiologie, dermatologie et ophtalmologie, ainsi que dans l’accélération des essais cliniques virtuels, apportant une valeur ajoutée considérable à l’innovation médicale. Elle va être un outil puissant pour changer la vie des patients et des soignants comme l’a été l’IRM ou le scanner, voire plus ! On se projette facilement vers une augmentation du médecin avec une meilleure préparation des interventions, la réalisation de pré-diagnostics, la maîtrise des risques d’interactions médicamenteuses…
Une des principales avancées de l’IA au-delà d’une amélioration des outils, de la mise à disposition d’assistants digitaux, est un gain de temps précieux pendant et entre les consultations : les médecins peuvent alors proposer davantage de rendez-vous chaque jour ou y consacrer un temps plus qualitatif d’échanges et de préconisations pour une meilleure santé. En cela, l’IA va participer activement à l’amélioration de l’accessibilité aux soins de santé.
Cette évolution est néanmoins conditionnée à la création de nouveaux métiers en support aux professionnels de santé. Des métiers comme des thérapeutes de réalité virtuelle qui auraient la charge de choisir les bonnes thérapies, des architectes de données de santé qui sont actuellement testés aujourd’hui aux États-Unis avec un objectif de lisibilité par une meilleure compréhension des données et de leurs chemins de la collecte à l’information, des assistants d’aide à la décision sanitaire qui assistent le professionnel de santé dans sa prise de décision liée à des recommandations issues d’algorithmes. Voilà quelques exemples des métiers qui devraient voir le jour pour assurer le bon usage de l’IA en santé.
Il est également important d’anticiper des formations adaptées, non seulement pour renforcer les compétences numériques actuelles mais aussi pour améliorer le dialogue et in fine apporter un meilleur soin au patient.
Cela suppose en amont de former aux outils (constitution des données, biais possibles, notion de garantie humaine…), à leurs apports et leur appréhension dans l’environnement des soignants.
En parallèle, si l’IA aide le médecin dans les tâches administratives ou réduit la durée de raisonnement clinique, il est absolument nécessaire de renforcer les formations sur l’aspect « humain » de la médecine : qualité du dialogue, art du questionnement, compréhension de l’environnement du patient, explication des pathologies, recommandations préventives, maintien du lien humain…
Le besoin de prise de hauteur et de philosophie devient dans cette optique une ressource à ne pas négliger. En développant la culture éthique et la vitalité philosophique, nous permettrons un dialogue éclairé, un travail de la pensée utile à ces transformations, et du sens aux métiers du soin. À l’heure de l’IA, réinvestissons aussi la philosophie comme un levier d’humanisation. Réinvestissons intelligemment le temps potentiellement gagné !
Isabella de Magny
Isabella de Magny est CEO d’Inspiring Futures, cabinet spécialisé dans les méthodes de prospectives, qui conçoit des formats innovants : Exposition, scénarios « WHAT IF » sur des sujets qui ont un fort impact sociétal. Isabella de Magny a publié en 2022 2050 (éditions Storylab), roman d’anticipation et essai sur le futur de la santé et a également contribué à l’ouvrage collectif L’IA en santé (éditions LEH). Elle est membre de l’Observatoire santé innovation de l’Institut Sapiens et coordonne une Task force France Biotech « Pacte Sociétal » dédiée à la responsabilité sociétale et environnementale du secteur de l’innovation en santé.