Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en février 2025
L’exploitation sexuelle peut prendre plusieurs formes et ce notamment en fonction de l’âge des victimes. Le dispositif Aurore – au sein duquel Katia Baudry est cheffe de service – prévient et accompagne les adolescents en situation ou en risque de prostitution et leur famille. Au plus proche de cette prostitution des mineurs, elle nous dévoile les rouages du piège dans lequel ils sont pris, et nous expose les failles propres à la jeunesse dont les proxénètes profitent.
La prostitution des mineurs est protéiforme et recouvre des réalités variées. Elle concerne des adolescents ayant grandi dans des familles françaises ou immigrées établies en France et étant scolarisés dans le système scolaire français mais également les mineurs non accompagnés. Elle prend des formes diverses, allant de ce qui est couramment appelé le « michetonnage », des comportements pré-prostitutionnels relevant de la séduction vénale à des formes prostitutionnelles plus classiques auprès de clients. Il s’agit autant de rapports de séduction donnant lieu à des « cadeaux » (vêtements et accessoires de luxe, téléphones…) ou de « secours » (hébergements, repas…) que de rapports sexuels lors de soirées entre pairs, de rapports sexuels tarifés à la suite de rencontres de clients via les réseaux sociaux.
Des travaux sur le « michetonnage » 1 ont constaté que des adolescents, en majorité des filles, s’engagent dans ces conduites : seule ou à plusieurs, sur des durées plus ou moins longues, entretenant des relations avec un ou plusieurs hommes, plus âgés, dotés d’un capital social et économique plus important, pour obtenir des biens matériels en échange afin de se créer une certaine identité féminine et restaurer une image de soi.
Leur point commun est la dégradation des liens sociaux avec leurs proches et leurs connaissances, qui les met dans un état de vulnérabilité faisant d’elles une proie facile pour les proxénètes.
Les études 2 récentes révèlent avec force l’importance des pairs. L’entrée peut se faire par l’intermédiaire d’une copine, d’un copain, mais aussi par des adolescentes rencontrées dans une structure d’accueil de l’Aide Sociale à l’Enfance, au moment de son placement. Il a été constaté que ces rencontres se produisent à des moments de la vie de l’adolescente
où elle est psychologiquement fragile. Il n’est pas exagéré de parler d’une logique de recrutement qu’on définirait comme une pratique émanant d’hommes ou de femmes, de filles ou de garçons qui vont repérer des adolescentes, le plus souvent des mineures, vulnérables comme des fugueuses ou des filles relevant de la protection de l’enfance qui ne savent plus où aller ou qui recherchent du réconfort. Leur point commun est la dégradation de leurs liens sociaux avec leurs proches et leurs connaissances, qui les met dans un état de vulnérabilité faisant d’elles une proie facile pour les proxénètes.
Les modes opératoires des proxénètes
Il y a toujours des individus, bien souvent des hommes, qui parviennent à exploiter la détresse affective et éducative des adolescents. Nous avons identifié
plusieurs modes opératoires des proxénètes pour exploiter les mineurs. Ils peuvent être pris au piège par une histoire amoureuse. Le « petit copain » profite des sentiments de sa copine pour imposer des actes sexuels avec d’autres. Cependant, le recrutement peut aussi se faire par l’intermédiaire des adolescentes déjà en situation de prostitution et pour plusieurs raisons : arrêter la prostitution, prendre du galon, par amour pour le proxénète, un pari. Ensuite, les proxénètes testent la soumission de la jeune en lui faisant subir des actes sexuels présentés comme une sorte d’« entretien d’embauche » ce que nous nommons « le viol test ». Ils exploitent également l’instinct de survie en proposant une aide, un dépannage. Les sites internet réservés normalement aux adultes (OnlyFans, MYM, Sexemodel) mais aussi les comptes fichas sont un terrain de chasse. Enfin, des adolescentes peuvent faire la démarche elles-mêmes d’approcher d’autres jeunes femmes ou hommes pour « bosser » ou organiser la rencontre avec des clients.
Les clients recherchent la jeunesse
Les figures sociales des clients de la prostitution sont de toutes situations familiales (en couple ou mariés, célibataires, divorcés), de tous niveaux d’études (sans diplôme à bac+), de professions et niveaux de revenus les plus divers (cadres, employés, chefs d’entreprise).
En règle générale, ce sont les clients qui se déplacent pour aller à la rencontre des filles soit à l’hôtel, en appartement ou maison loués via la plateforme Airbnb, dans des appartements squattés dans des cités, des locaux techniques. Certains peuvent les accueillir à leur domicile.
Ils profitent de leur jeune âge, de leur inexpérience notamment à leur début, de leurs vulnérabilités pour leur demander ou non des pratiques sexuelles déviantes (scatophilie, urophilie), voler l’argent de la passe, retirer le préservatif avant la pénétration. Un client peut dire « Plus elles sont jeunes, plus elles sont paumées, plus je peux faire d’elles ce que je veux ».
En conclusion, il est nécessaire de prévenir le risque prostitutionnel, accompagner les victimes d’exploitation sexuelle, soutenir les parents, et pour ce faire, une collaboration entre les acteurs de proximité est primordiale.
1 Gil L, Le pigeon michetonné, la michetonneuse plumée…, Mémoire DEES, CFPES (Centre de Formation aux Professions Éducatives et Sociales) – CEMEA (Centre d’Entrainement aux Méthodes d’Éducation Active) d’Aubervilliers, 2012.
Meunier E., Raynal F. Prévenir le michetonnage chez les ados : comprendre le phénomène pour repérer et agir, Mission Métropolitaine de Prévention des Conduites à Risque, Département de Seine–Saint-Denis, 2016.
2 Collet Beate, Baudry Katia. Risques prostitutionnels à l’adolescence. Comprendre les processus d’engagement dans les conduites à risque et élaborer des outils de prévention. Rapport de recherche : Gémass-Sorbonne Université, 2022.
Lavaud-Legendre B., Plessard C., Encrenaz G, Prostitution de mineures Quelles réalités sociales et juridiques ? Rapport de recherche, Université de Bordeaux, CNRS, 2020.
Pohu H, Dupont M, Gorgiard C, Promifrance, Recherche- action pluridisciplinaire sur la prostitution des mineurs, CVM, 2022.
Précision
L’association Aurore, via le dispositif Astheriia, a créé, dans le département de la Seine-Saint-Denis, une permanence nommée : « Jeunes & Sexualité 93 ». Il s’agit de réaliser des intervisions sur des situations de filles et de garçons à l’adolescence en situation de prostitution ou en risque de l’être auprès de professionnels en lien direct avec les jeunes concernés afin de les accompagner vers un changement. La permanence « Jeunes & Sexualité 93 » peut recevoir également les adolescents et leurs parents ou proches.
Katia Baudry
Docteure en sociologie, elle est responsable d’un dispositif de prévention et d’accompagnement éducatif renforcé d’adolescents en situation de prostitution ou en risque et de leur famille pour l’association AURORE. Elle a réalisé avec Béate Collet trois recherches sur la prostitution des mineurs pour la ville de Montreuil, l’Aide sociale à l’enfance de Seine–Saint-Denis et l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance.