Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en juin-septembre 2023
Des Hommes dorment dans nos rues, été comme hiver. Certains sont nés ici, d’autres ailleurs. Nous ne savons pas bien comment les désigner. SDF ? Migrants ? Réfugiés ? Clochards ? Immigrés ? Sans abri ? Squatteurs ? Mendiants ?… Parce que nous ne les connaissons pas, nous les confondons tous.
Leurs histoires sont pourtant variées, complexes, toujours blessées. « Je pense que la plupart de ceux qui se retrouvent à dormir comme nous dehors ont été jetés, rejetés, refoulés de toutes parts » écrit Axelle à deux pages d’ici. Elle qui vivait dans la rue, à deux pas d’ici. Ils campent en famille ou entre compatriotes réfugiés sous le métro aérien ou sur les bords du périphérique, ils habitent seuls les halls de gare bondés, les stations de bus, chaque enclave d’immeuble qui abrite du vent ou de la pluie. Certains sont perdus et errent sans but, d’autres ont leur planning quotidien : bagagerie à 9h, marche, café et douche à l’asso du quartier à 10h, rendez-vous avec l’assistante sociale à l’ESI1 à 11h, marche, déjeuner aux Restos du Cœur (compter 2 heures pour la queue), sieste au square d’à côté, marche, partie d’échecs ou lecture à l’autre association du quartier à 16h, bagagerie avant la fermeture, récupération d’invendus à la boulangerie, retour au matelas, dîner.
Les réactions sont diverses face à ces situations d’exclusion et de souffrance. Certains en veulent aux politiques qui « laissent entrer tout le monde, laissent dormir dehors » – n’est-il pas vrai que lorsqu’on accueille trop, on accueille mal ? -, d’autres en veulent aux mêmes politiques qui « laissent mourir en mer » – n’est-il pas vrai que l’humanité doit l’emporter sur la nationalité ? -. Que doivent-ils donc faire, ces pauvres politiques ? Certains leurs reprochent de s’occuper des étrangers alors que des citoyens nés en France peineraient à survivre. Certains leurs reprochent de ne rien faire pour les migrants, d’être xénophobes, racistes, égoïstes. De laisser le monde associatif faire le travail de l’État. Pauvres politiques, comment n’oublier personne ? Comment dépenser justement ? Comment oser l’horreur du « tri sélectif » quand on parle d’humains ?
Ce thème est polémique, nous l’assumons. Construire cette revue a été difficile et nous regrettons de n’avoir pas réussi à réunir plus de voix contradictoires, notamment celles d’élus, de politiques, justement. Ou celles de l’OFII2 et de l’OFPRA3. Des voix qui disent aussi les difficultés d’intégration des réfugiés, les besoins de contrôle, des voix qui osent dire que nos banlieues bétonnées, nos prisons, nos meurtrissures terroristes et actualités sordides sont pleines de personnes étrangères mal accueillies et révoltées. Ne le nions pas.
Au-delà de la polémique, nous avons voulu cette revue optimiste, et nous avons cherché avec chaque contributeur (chercheurs, acteurs de terrain, ex personnes de la rue) les pistes d’un combat plus
efficace au service de ces exclus d’ici et d’ailleurs, ceux qui dorment dans nos rues après un licenciement ou une perte de logement, ne peuvent faire autrement, et ceux à qui la France semble avoir dit Viens à la maison, y’a le printemps qui chante et qui aujourd’hui déchantent.
1 ESI : Espace Solidarité Insertion (accueils inconditionnels de personnes exclues, aides sociales et sanitaires) 2 OFII : Office Français de l’Immigration et de l’Intégration 3 OFPRA : Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides
Amaury PERRACHON
Responsable des publications
UP for Humanness