« On s’occupe de nous-mêmes » : le plaidoyer des enfants

par | 18 Juin 2024 | Protection de l’enfance et engagement de la jeunesse

Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en avril-juillet 2024

La méthode de recherche-action de UP for Humanness consiste notamment à donner la parole aux bénéficiaires de l’enjeu traité. En abordant le sujet illimité de l’écologie, nous ne pouvions pas passer à côté de la consultation de ceux qui hériteront de la Terre : les enfants. Nous avons donc mené des entretiens avec des élèves de l’école Michelis de Neuilly-sur-Seine (92) et de l’accueil périscolaire qui y est proposé. Cette école primaire a développé une pédagogie originale et pratique autour des enjeux environnementaux.

Les Neuilléens l’appellent depuis longtemps « l’école bleue1 », elle aurait aujourd’hui toutes les raisons d’être plutôt surnommée « l’école verte ». La rénovation de l’école Michelis de Neuilly-sur-Seine entre 2018 et 2021 a permis d’y créer, sur le toit, un jardin pédagogique sous serre de 640 m2 à destination des élèves de maternelle et primaire, mais aussi de ceux présents le mercredi à l’accueil périscolaire.

Au total, 30 classes passent régulièrement par la serre au long de l’année pour des ateliers pratiques, des cours théoriques, des activités créatives, des concours de la parcelle la plus fleurie… ! C’est Marie Breon (Les Bergeries en villes) et Gilda Hardouin (Éveil et biodiversité) qui ont la belle mission de faire vivre la serre et de transmettre le goût de la nature et de l’écologie aux élèves. Et pas seulement aux élèves ! Le week-end, Marie Breon anime aussi des ateliers pour les adultes désireux de se former aux bases de l’écologie et de la préservation de l’environnement, une proposition très soutenue par la mairie.

Vocabulaire

« Écologie », « environnement », « biodiversité », « écosystème », « climat », « faune et flore » … Ces mots à la mode sont parfois abstraits pour les amateurs, et nous pouvons nous demander ce que les enfants en comprennent. Nous les avons interrogés sur ce que le mot « écologie » signifiait pour eux. « C’est préserver la nature, qu’on puisse encore vivre longtemps sur cette planète, prendre soin des animaux et des insectes » répond Olivia, 10 ans, élève de CM2.

Imaginons qu’on consomme du gaz, du pétrole, et qu’il n’y en a plus, et bien on se retrouverait bien embêtés, on se demanderait ce qu’on va faire !

Thomas (même âge, même classe) va plus loin : « C’est, au lieu de prendre des énergies fossiles, prendre des énergies renouvelables ! C’est-à-dire des énergies illimitées comme l’énergie solaire, l’énergie hydraulique… Imaginons qu’on consomme du gaz, du pétrole, et qu’il n’y en a plus, et bien on se retrouverait bien embêtés, on se demanderait ce qu’on va faire ! ».

Pour Enzo, 9 ans, élève de CM1, « Cela veut dire protéger la planète, trier les déchets, réutiliser les choses, ne rien gâcher, passer au Made in France parce que sinon ça pollue beaucoup, arrêter de consommer des choses dont on n’a pas besoin, arrêter le réchauffement climatique ! ». Victor, 10 ans, en CM2, nous impressionne par son assurance et sa verve : « L’écologie c’est de ne pas polluer, d’éviter les voyages en voiture tout seul, de favoriser le nucléaire qui est l’une des énergies qui pollue le moins, d’éviter de manger trop de viande parce que ça tue énormément d’animaux, acheter des vêtements d’occasion pour ne pas gâcher trop de tissu, de coton. Il y a des enfants qui travaillent très dur en Chine pour planter le coton et le récolter, faire les habits, et ils ne sont pas payés cher du tout par rapport à ce qu’ils devraient être payés ! Si on n’est pas écologique on pollue et on abîme la couche d’ozone qui nous protège des rayons solaires donc la Terre va devenir tellement chaude qu’elle sera invivable et ce sera l’apocalypse, il y a déjà des températures de 47 ou 50 degrés2 dans la vallée de la Mort. Notre corps ne peut pas suivre, pareil quand il fait très très froid. »

L’envie d’agir

Au-delà des « définitions », nous avons questionné les élèves de l’école Michelis sur les raisons, selon eux, de prendre soin de la nature et leurs sources de motivations pour le faire. Pia a 7 ans et demi, elle est en CE1 : « Ici on s’occupe des plantes, on élève des limaces, on s’occupe des animaux comme les papillons… hier on a assisté à l’émergence d’un papillon, c’était beau ! Il faut prendre soin de la Nature parce que c’est tellement beau que si on détruit ça on ne pourra plus vivre, on ne pourra plus être heureux, on ne pourra plus voir par exemple les baleines qui dansent au-dessus des flots, on ne pourra plus voir la naissance de plein de petites plantes ou animaux… Et aussi, si on détruit les plantes comme les arbres on n’aura plus d’oxygène ». « Tu en sais des choses Pia, tu as appris tout ça ici ? », « Ici, mais aussi avec mon grand-père ».

Ethan a 9 ans, il est en CM1, pour lui, il faut se mettre à la place des plantes, « Si on était à leur place on comprendrait. Je vais vous donner un exemple : la tortue mange des plastiques, et la plus grande partie des tortues n’arrive plus à nager alors elles meurent ». « La nature nous fait plein de cadeaux, il faut lui rendre ce qu’elle nous a donné, il faut que nos enfants aient une belle planète, sans inondation, sans incendie… » explique Olivia, alignée avec Thomas : « On agit pour pouvoir donner une planète en bon état à nos enfants, qu’ils puissent la transmettre de générations en générations. Il ne faut pas être égoïste, ne penser qu’à soi, et se dire ‘‘de toute façon eux ils se débrouilleront’’ ! On fait partie de la nature donc on doit prendre soin d’elle ».

Clotilde, 9 ans, sa sœur, aime voir l’impact qu’elle peut avoir sur la nature : « J’aime voir les grands arbres, les feuilles, les champs… découvrir des chemins, des cabanes, des grandes branches… ! J’ai un Tonton qui adore la nature, j’ai vu son jardin avant qu’il ne l’achète et il n’y avait que des mauvaises herbes, plein de choses, et quand je suis revenu il avait planté plein de plantes ! Je me suis dit que c’était bien, même quand on ne sait pas faire grand-chose, de faire le maximum ! ».

Un message à transmettre

Interrogés sur le message qu’ils auraient à transmettre aux adultes, le plaidoyer est clair et unanime. Théa, 6 ans, en classe de CP : « Je veux leur dire de ne plus polluer, de ne plus jeter les déchets dans la mer et dans les forêts parce que ça fait du mal à la Terre. Et de recycler ». Mélina, 10 ans, en classe de CM2 : « Il faut faire attention, le réchauffement climatique augmente, la pollution aussi, elle détruit la planète, soyons écologiques ! Quand on veut partir en voyage à Marseille, il vaut mieux prendre le train ! ». Zoé, 9 ans, en CM1 : « Arrêtez d’inventer des choses avec du gaz ou mauvaises pour la planète (c’est vrai quoi, ce ne sont pas les enfants qui inventent ça !), attention aux bateaux et à la pêche aussi, ça attrape les requins, les dauphins… ! ». Thomas : « Si vous pouviez laisser une planète en meilleur état, nous on pourrait faire mieux et continuer à faire pareil » et sa sœur Clotilde : « Continuez à prendre soin de la nature si vous le faites déjà, et essayez de commencer si vous ne le faites pas ! ».

Précision

La consultation d’élèves de 6 à 10 ans implique deux biais potentiels : d’un côté leur envie de restituer le plus justement possible ce qu’ils ont retenu en classe ou en ateliers devant des adultes encadrants, d’un autre leur difficulté à faire la part des choses entre ce qu’ils pensent par eux-mêmes et ce qu’on les invite à penser… Toutefois, cette consultation d’enfants permet une autre forme de liberté de ton et une « fraîcheur » dont nous espérons que vous la savourerez autant que nous avons aimé la recueillir.

1 La façade de l’école a longtemps été de cette couleur. 2 L’Organisation météorologique mondiale (OMM) a mesuré des records de températures de 54°C en août 2020 et en juillet 2023 dans la vallée de la Mort, en Californie. Plus récemment, dans le monde, le mois de mars 2024 a été le 10ème mois consécutif à battre un record moyen de chaleur selon l’observatoire européen Copernicus.

Olivia, Enzo, Mélina, Zoé et Victor

Ils sont élèves de CM1 et CM2 à l’école Michelis, ils ont régulièrement des leçons autour des enjeux écologiques et à propos de la serre. Zoé et Mélina sont même « éco-déléguées » : elles ont notamment pour rôle de dire aux enfants où jeter leurs déchets et elles vivront une rencontre avec des élus sur le sujet.

Ethan, Clotilde, Thomas, Pia et Théa

Ils ont entre 6 et 10 ans et viennent chaque mercredi de 12 à 14h participer à des ateliers pédagogiques et créatifs autour de la serre à l’accueil périscolaire de l’école Michelis, animés par Gilda Hardouin.

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