Temps et maladies psychiques, parlons rétablissement

par | Sep 5, 2025

Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en mai 2025

Lorsqu’on a affaire à des maladies psychiques, la question du temps devient encore plus cruciale et difficile à résoudre. La prise de conscience menant au soin est souvent tardive et le temps manque pour attribuer un soin adapté à la maladie et à la personne qui en est atteinte. Le président de la Fédération Santé Mentale France, Jean-Philippe Cavroy, nous explique ici comment ce temps nécessaire au soin psychique peut être gagné en amont ou rattrapé ensuite.

Le temps et le soin dans les maladies psychiques… qu’en est-il ? temps d’errance, de diagnostic, de rémission, de rechute, temps d’exclusion ?

Les réalités liées au temps sont très variées, notamment dans le secteur de la psychiatrie, même si généralement les troubles psychiques s’inscrivent dans la durée. On pourrait croire qu’un épisode dépressif ou un burn-out interviennent de manière isolée, alors qu’en réalité, ils ont des impacts plusieurs mois après et nécessitent du temps pour en sortir. La temporalité est un réel enjeu de l’accompagnement des troubles psychiques, et il est nécessaire d’accentuer les actions de prévention sur le sujet.

Souvent taboues dans les cercles familiaux et professionnels, les maladies sont diagnostiquées tardivement, conduisant à une perte de chance pour le patient. Par exemple, après la première crise, il faut en moyenne huit ans pour diagnostiquer une bipolarité et dix ans pour une schizophrénie.

De plus, on réalise souvent l’existence d’un trouble psychique au moment d’un événement choquant (décompensation, tentative de suicide) alors qu’on aurait pu le diagnostiquer bien plus tôt en étant sensibles à des signes précurseurs plus fins. On est forcé de soigner la crise, de traiter la maladie dans l’urgence alors même que c’est impossible. Il y a dans ce cas une réelle tension entre temps et soin, conduisant souvent à une certaine forme de violence (contention…). Les troubles psychiques ont des fondements profonds qui nécessitent du temps pour être appréhendés, compris, soignés. Ils touchent très vite à l’essence même de la personne, à sa psychologie et à sa dignité.

En s’intéressant aux prémices des troubles psychiques, il est possible de les désamorcer en amont des crises et de limiter potentiellement leur évolution. Pour cela, il faudrait former le grand public à la reconnaissance des signaux faibles, à une véritable attention à l’autre dans la relation. Cela nécessite de prendre le temps, de donner la parole et de quitter ses idées préconçues.

Qu’apporte l’approche « rétablissement » en santé mentale dans les rapports temps et soin ? Quels bénéfices pour les patients ? pour les soignants ?

L’approche « rétablissement » correspond au fait de considérer le patient dans son intégralité et de personnaliser au maximum son accompagnement par une vision holistique et intégrative du soin. Les troubles psychiques ayant une origine multifactorielle, il est possible d’agir à plusieurs niveaux, notamment sur les plans psychologiques, psychanalytiques, sociaux… tout a de l’importance ! Si on laisse la personne en dehors de l’hôpital sans accompagnement social, sans présence, sans logement, sans travail… son retour à la vie « réelle » ne peut pas correctement se passer. Il y a de grandes chances qu’elle rechute quelques mois plus tard et soit de nouveau hospitalisée. Il est fondamental d’écouter, de créer du lien avec l’environnement de la personne malade, de s’assurer que tout le monde dialogue.

Par ailleurs, il est nécessaire de laisser chaque patient prendre son temps, appréhender sa maladie. Beaucoup sont dans le déni, dans l’auto-stigmatisation, dans l’incompréhension. Il faut parvenir à les accompagner dans le temps en définissant avec elles ce qu’elles souhaitent pour leur futur. La relation de confiance et de pédagogie croisée est primordiale. Le patient peut demander un ajustement des médicaments parce que les effets secondaires prennent une place qu’il ne désire pas. Les maladies psychiques nécessitent un réajustement permanent des médicaments.

Quels freins aujourd’hui à l’implémentation de cette approche « rétablissement » ? Pourquoi ?

Il y a un premier travail de partage des connaissances et des tâches à faire : personnaliser un parcours patient nécessite de prendre en compte son ressenti et celui de ses proches, d’en faire un véritable partenaire. Il faut également sortir d’une idée de lieu ultra médicalisé. Pour certains médecins, un lieu qui n’est pas médicalisé ne va pas être efficace et va en plus être dangereux. Cependant, d’après mon expérience au Clubhouse, cela n’a jamais été le cas à partir du moment où l’on prenait le temps d’échanger et de comprendre les besoins de chacun.

Il est nécessaire également de prendre de la hauteur sur les pratiques actuelles dans le secteur psychiatrique. Beaucoup d’équipes font appel à l’hospitalisation sous contrainte. Ils attachent les patients, les privent de leur liberté, les mettent sous camisole médicamenteuse, parce qu’ils n’ont pas le temps de s’en occuper comme il faudrait. Ils ne prennent pas le temps d’expliquer au patient ce qu’il se passe et ce qu’ils vont faire. Ces méthodes laissent de réels traumatismes à vie, même lorsqu’elles sont employées pendant une crise. Dans les pays nordiques, en cas d’hospitalisation sous contrainte, ils utilisent une technique qui a pour objectif d’éviter l’hospitalisation, elle s’appelle l’open dialogue. Tout l’entourage du patient est formé à déceler les premiers signes de la maladie qui est ainsi très vite désamorcée : de nombreuses crises et hospitalisations de force sont évitées.

Comment accompagner l’entourage dans la compréhension de cette temporalité particulière qui est celle de la personne atteinte de troubles psychiques ?

Il est nécessaire d’accompagner les familles mais également les collègues, les managers… Il faut sensibiliser en amont, créer une culture, instaurer une démarche à suivre. L’entreprise n’est pas un lieu de soin mais elle peut être très thérapeutique et elle doit prendre en compte la dimension du bien-être au travail. L’accompagnement doit se faire à tous les niveaux. Les troubles psychiques peuvent être très lourds pour la famille de la personne concernée. Il est important qu’elle apprenne à connaître la maladie pour ne pas être dans le déni, avoir les bons réflexes, mais également apprendre à se préserver.

Il y a de nombreuses associations qui accompagnent les familles dans la gestion des troubles psychiques (l’UNAFAM, Promesse…). Récemment, la fondation Falret a développé une aide qui s’appelle « Funambule », pour accompagner les frères, sœurs et enfants de personnes avec des troubles psychiques.

Quelle leçon sur le rapport du temps et du soin peut-on tirer de la prise en charge des maladies psychiques pour le soin en général ?

La santé mentale s’inspire de pratiques venant d’autres univers du soin. La pair-aidance par exemple a été créée à l’origine pour lutter contre l’alcoolisme et mieux gérer le SIDA : chacun transmettait aux soignants et laboratoires ce qu’il vivait afin d’adapter au mieux les traitements et limiter les effets secondaires. Les patients ont ainsi l’expertise du vécu de leur propre maladie, ce que les soignants n’ont pas.

Aux États-Unis, on s’est intéressé plus rapidement à la santé mentale qu’en France, de nombreux mouvements ont été développés par des personnes afin de partager leurs difficultés, c’est en quelque sorte la naissance de la pair-aidance dans la psychiatrie. Aujourd’hui, elle émerge très fortement, il y a de nombreux symposiums sur le sujet. On en distingue plusieurs types : pair-aidance entre patients, pair-aidance familiale et professionnelle. Cependant, il est encore difficile d’intégrer les pair-aidants dans les parcours de soins : ils ne sont pas forcément bien accueillis par tous les professionnels de santé qui ne reconnaissent pas leur expertise. Pourtant, ils jouent vraiment un rôle complémentaire : il y a un réel gain à s’appuyer sur eux !

Par ailleurs, la santé mentale et le cancer ont des choses en commun dans leur manière d’évoluer dans la société. Il y a quelques années, avoir un cancer était très tabou et c’est moins le cas aujourd’hui. Peut-être que dans quelques années ce sera la même chose pour les troubles psychiques.

Quelles formations et quels accompagnements des acteurs requis ?

Je souligne l’importance de prendre le temps avec les professionnels, les encadrants, les soignants, les familles, du partage de ce qu’ils vivent, de leurs émotions et de leur ressenti. Les temps d’échanges entre professionnels pour maintenir l’équilibre de chacun sont vraiment nécessaires. Il faut savoir qu’un psychiatre sur deux est en burn-out. Il y a un réel manque de supervision et d’accompagnement. Quand j’étais au Clubhouse, on avait mis en place une séance de supervision par mois de deux heures qui permettait aux professionnels de partager sur leur vécu. Deux heures par mois, ce n’est pas cher et c’est vraiment un temps qui vaut le coût d’être investi.

Il existe également des établissements comme les CREPSI et les CEAPSI qui écoutent et orientent les soignants selon leurs besoins.

Jean-Philippe Cavroy

Jean-Philippe Cavroy a d’abord travaillé en marketing-communication et commercial pour des entreprises de grande consommation et se consacre depuis dix-huit ans au secteur associatif : quatre ans dans le commerce équitable et quatorze ans dans la santé mentale. Jean-Philippe Cavroy a dirigé pendant huit ans l’association Clubhouse France et est depuis 2020 délégué général de la Fédération Santé mentale France.

La Fédération santé mentale France est au service de ses adhérents. Elle se compose de 3 collèges : un collège dédié aux structures de soins, un deuxième destiné aux structures médico-sociales et sociales, aux foyers, maisons d’accueil, aux aides au logement et un troisième consacré aux associations de personnes concernées ou de leurs proches. La fédération est aussi un organisme de formation : premiers secours en santé mentale, fresques de sensibilisation, etc. Les objectifs de la fédération sont divers : rédiger des plaidoyers, pratiquer le lobbying pour faire avancer les lois et les pratiques. On cherche aussi à sensibiliser à la santé mentale les professionnels et les personnes. Le but est qu’il y ait un échange de bonnes pratiques.

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