Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en juin-septembre 2023
Elle est française et journaliste, il est exilé, Tchadien et aujourd’hui cuisinier. Julia Montfort et Abdelhaq Adam sont devenus amis après que Julia a répondu positivement à une demande d’hébergement d’urgence en 2017. Nous avons voulu leur proposer une interview croisée sur les défis de l’exil, de l’installation, de l’intégration en France.
De l’accueil de Julia et Cédric est née une belle rencontre, une amitié, est-ce un événement isolé selon vous ?
Abdelhaq Adam (A.A.) : Notre cas n’est pas isolé, moi j’étais un mineur isolé ! Et grâce à Julia j’ai réussi ma vie : j’ai obtenu ce que je voulais – j’ai eu mes papiers, j’ai un emploi et je voyage où je veux – alors qu’il y a 7 ans je vivais dans la rue et j’étais découragé.
Aujourd’hui je vois la famille de Julia ou les associations qui se battent pour aider les personnes réfugiées et je trouve ça tellement important. Je vois qu’il y a de plus en plus de migrants, que c’est de plus en plus compliqué. Je suis conscient que la France ne peut peut-être pas accueillir tout le monde…
Julia Montfort (J.M.) : Et d’ailleurs tout le monde ne veut pas venir !
A.A. : … mais je trouve beau que tant de gens s’activent pour accueillir des réfugiés chez eux.
J’ai quelques amis qui ont été accueillis dans des familles, ils étaient mineurs à l’époque. Aujourd’hui ils travaillent et je pense que c’est grâce à cet accueil. La première chose dont on a besoin pour s’installer c’est d’être aidé sur les questions administratives, ensuite d’apprendre la langue, et donc les familles d’accueil aident beaucoup sur ces deux sujets. Et les réfugiés n’oublient jamais cela.
Qu’est-ce qui permet de s’intégrer en France, de retrouver du travail ? Quelles propositions t’ont été faites ?
A.A. : Aucune proposition n’est faite par l’État, aucune. J’ai été accueilli par les Montfort et une autre famille d’accueil grâce au réseau associatif, des personnes retraitées chez qui je vis aujourd’hui et qui m’aident sur les questions administratives. Il faut savoir que je n’ai jamais obtenu l’asile, j’ai été de nouveau expulsable en 2020 et ce sont eux qui m’ont trouvé une place via une association, les Compagnons du partage, et j’ai ainsi pu être régularisé par le travail.
J.M. : Aujourd’hui l’hospitalité représente un soutien à 360 : ces citoyens permettent de s’en sortir aussi bien au niveau administratif, que psychologique, social, médical, vestimentaire… et tout cela est méconnu, invisible.
A.A. : L’école THOT* où j’ai passé 2 ans m’a permis d’obtenir le niveau A2 en français, grâce à eux je parle français et j’ai été accueilli par la famille de Julia. Seuls ce genre d’associations permettent de s’en sortir. Grâce aux Compagnons du partage et à cet emploi en 2020 j’ai obtenu mes papiers, j’ai trouvé un emploi aidé par Julia dont une connaissance ouvrait un restaurant, et j’y suis commis de cuisine. J’aimerais ensuite faire un CAP de cuisine !
Abdelhaq, saurais-tu dire ce qui t’a permis de te sentir bien en France ? Désires-tu retourner un jour au Tchad ?
A.A. : Ce n’était pas mon choix de partir, je suis fils de dissident et j’ai été persécuté. Quand j‘ai dû partir j’ai réfléchi au pays où je voulais aller vivre, j’avais la France en tête depuis tout petit parce que mon grand-père a vécu en France, s’est battu contre l’armée allemande au sein de l’armée française… Il me racontait l’histoire de France et ces images me restaient en tête, cela m’attirait. Je veux choisir la France comme étant mon deuxième pays.
J’aimerais bien continuer de vivre en France, j’y ai une deuxième famille qui m’a aidé dans des moments difficiles, qui sont toujours avec moi, avec qui j’ai une relation particulière. Je vais régulièrement au Tchad voir ma famille, et je veux continuer.
J’essaye de vivre en France comme les autres.
Comment vis-tu ce défi de l’intégration, on te demande de suivre les codes sans pour autant abandonner ta culture ? Te sens-tu forcé de choisir une culture plutôt qu’une autre ?
J.M. : Il porte le bob, joue à la pétanque et adore le fromage ! (rires)
A.A. : Il faut choisir ! J.M. : Non !
A.A. : Choisir et ne pas choisir… ! (rires) Beaucoup d’amis migrants sont ici depuis 2015 et leurs mentalités n’ont pas changé, ils sont toujours là-bas dans leur tête. Moi j’ai pu très vite m’intégrer dans des familles françaises et j’ai donc beaucoup changé. J’ai vite appris les habitudes françaises, la culture que j’aime beaucoup… Je vois des similitudes entre la culture tchadienne et la culture française, et je vois aussi que beaucoup de choses ont changé au Tchad, ou bien je les vois différemment parce que j’étais très jeune. Je ne découvre que maintenant la culture, la gastronomie, les danses… Les activités quotidiennes dans lesquelles les hommes sont moins investis. Les femmes travaillent beaucoup plus qu’eux.
J.M. : Un jour, quand Abdelhaq s’est installé chez nous, il m’a vu boire un verre de vin au bar de la cuisine pendant que mon mari faisait la vaisselle… Il nous a regardé comme des extraterrestres !
Son intégration s’est faite toute naturellement, sans changer du tout au tout, sans invisibiliser ses origines… Abdelhaq est tchadien, il restera toujours tchadien. C’est son pays de naissance, le pays de sa famille, le pays de ses racines… mais il a épousé la culture française d’une manière exemplaire – je pense que j’en n’aurais pas été capable à ce point – tout en restant lui même. Il a un infini respect pour tous les pans de notre culture, j’en ai des frissons parce que c’est immense. Pourquoi choisir ? C’est un partage, un mélange, des cultures qui se mêlent ! Tu es le fruit parfait de cette intégration.
C’est très émouvant à voir, et c’est naturel ça ne peut pas répondre à des injonctions. L’intégration c’est le frottement, ça se fait au quotidien, grâce au tissu social, grâce à la générosité de Français qui vont ouvrir leurs portes pour que ces personnes goûtent à la culture de manière détendue, sans stress, sans y être forcés. Ça se joue dans des détails : une invitation au cinéma, au restaurant, au théâtre…
A.A. : Il y a beaucoup de réfugiés qui aiment la France, ils aiment la culture, la richesse… Ils ont juste besoin de gens ouverts qui leurs fassent découvrir ce qu’est la culture française, comment s’y sentir bien.
En 2017, il y a des étudiants qui donnaient des cours d’alphabétisation à la Sorbonne tous les dimanches. À cette époque on attendait avec impatience ce rendez-vous parce que c’était essentiel pour nous, passionnant. On veut vivre ensemble, on est différents mais on veut vivre ensemble. Ce sont ces générations qui le prouvent et c’est tellement important.
J.M. : Tout repose sur la rencontre, la rencontre avec un être un humain. Ça paraît peut-être naïf mais c’est si vrai : il faut tendre la main autant qu’on le peut, être généreux. La politique de la peur condamne les potentialités de rencontres, d’interactions, de mélanges… c’est ce qu’il faut abolir.
* THOT, Transmettre un Horizon à Tous est une école diplômante pour personnes en situation d’exil, réfugiés et demandeurs d’asile située dans le IIe arrondissement de Paris, à la maison des associations du IIe.
Julia et Abdelhaq interviennent dans des collèges et lycées pour sensibiliser aux questions d’exil et d’accueil des demandeurs d’asile. Pour une demande, écrire à carnetsdesolidarite@gmail.com.
Abdelhaq ADAM
Originaire du Tchad, il est arrivé en France a 20 ans, en 2015. Abdelhaq avait passé 5 ans en Libye, été torturé à l’âge de 13 ans parce que sa famille était dissidente. Grâce à son courage et à l’accueil de différents citoyens, il est aujourd’hui apprenti en cuisine, installé à Paris.
Julia MONTFORT
Journaliste, elle a accepté d’accueillir Abdelhaq chez elle avec son mari Cédric pendant un an et cela lui a inspiré différents reportages sur l’hospitalité, l’accueil des réfugiés en France : les Carnets de solidarité (disponibles sur YouTube et en librairie, éditions Payot). Elle a été marraine de l’édition 2021 des Trophées Artisans d’un monde plus humain de UP for Humanness sur le thème de la Confiance.