Gabriel Fauré, Cantique de Jean Racine
La Paix, Maguy Banq
“Tout le monde parle de paix mais personne n’éduque à la paix. On éduque pour la compétition, et la compétition marque le début de toutes les guerres. Quand on éduquera pour la coopération et pour nous offrir les uns les autres de la solidarité, ce jour-là alors on éduquera pour la paix.”
Maria Montessori
Alexandre Soljenitsyne, LE CRI. Le discours du prix Nobel, L’EXPRESS, Paris, no 1104, 4-11 septembre 1972, pp. 66-73.
Un jour, Dostoïevski a laissé échapper cette énigmatique remarque : « La beauté sauvera le monde.» Qu’est-ce que cela veut dire ? Pendant longtemps, j’ai pensé que ce n’étaient que des mots. Comment était-ce possible ? Quand donc, au cours de notre sanglante Histoire, la beauté a- t-elle sauvé quiconque de quoi que ce soit ? Ennobli, exalté, oui. Mais qui a été sauvé ?
Il existe, toutefois, une certaine particularité dans l’essence même de la beauté et dans la nature même de l’art : la conviction profonde qu’entraîne une vraie oeuvre d’art est absolument irréfutable, et elle contraint même le coeur le plus hostile à se soumettre. (…)
[…] au cours des dernières décennies, imperceptiblement mais rapidement, l’humanité est devenue une seule entité – source à la fois de confiance et de danger – de sorte que les chocs et les embrasements de l’une de ses parties sont immédiatement transmis aux autres, détruisant parfois une immunité nécessaire. (…) Dans les diverses parties du monde, les hommes appliquent leurs propres références aux événements, et ils les jugent, avec entêtement et confiance, en fonction d’elles, et non selon celles des autres. (…) C’est pourquoi nous considérons comme le, plus important, le plus pénible et le moins supportable ce qui est le plus proche de nous. Tout ce qui est loin, tout ce qui ne menace pas de nous envahir à l’instant et de franchir le seuil de notre porte même avec ses gémissements pathétiques, ses cris étouffés, ses vies détruites, ses millions de victimes – tout cela, nous le considérons comme parfaitement supportable et tolérable.
(…) Nous ne pouvons reprocher à la vision humaine cette dualité, cette incompréhension ahurissante de la peine d’un autre homme éloigné, car l’homme est ainsi fait. Mais, pour l’ensemble de l’humanité, unie en un seul bloc, cette incompréhension mutuelle présente la menace d’une destruction imminente et brutale. Un monde, une humanité ne peuvent exister en face de six, de quatre ou même de deux échelles de valeurs : nous serions déchirés par cette disparité de rythmes, cette dualité de vibrations. Si un homme avec deux cœurs n’est pas fait pour ce monde, nous ne pouvons pas non plus vivre avec cette dualité sur une même Terre.
Alors, qui coordonnera ces échelles de valeurs ? Et comment ? Qui créera pour l’humanité un seul système d’interprétation, valable pour le bien et le mal, pour ce qui est supportable et pour ce qui ne l’est pas ? Qui fera clairement comprendre à l’humanité ce qui est une souffrance réellement intolérable et ce qui n’est qu’une égratignure superficielle ? Qui orientera la colère des hommes contre ce qui est le plus terrible, et non plus contre ce qui est le plus proche ? Qui réussira à transposer une telle compréhension au-delà des limites de son expérience personnelle ? Qui réussira à faire comprendre à une créature humaine fanatique et bornée les joies et les peines de ses frères lointains, à lui faire comprendre ce dont il n’a lui-même aucune notion ?
Propagande, contrainte, preuves scientifiques, tout est inutile. Mais il existe heureusement un moyen de le faire dans ce monde : l’art, la littérature.
Les artistes peuvent accomplir ce miracle. Ils peuvent surmonter cette faiblesse caractéristique de l’homme qui n’apprend que de sa propre expérience tandis que l’expérience des autres ne le touche pas. L’art transmet d’un homme à l’autre, pendant leur bref séjour sur la Terre, tout le poids d’une très longue et inhabituelle expérience, avec ses fardeaux, ses couleurs, la sève de sa vie : il la recrée dans notre chair et nous permet d’en prendre possession, comme si elle était nôtre.
Emile Zola, Lettre à la jeunesse
Jeunesse, jeunesse ! Souviens-toi des souffrances que tes pères ont endurées, des terribles batailles où ils ont dû vaincre, pour conquérir la liberté dont tu jouis à cette heure. Si tu te sens indépendante, si tu peux aller et venir à ton gré, dire dans la presse ce que tu penses, avoir une opinion et l’exprimer publiquement, c’est que tes pères ont donné de leur intelligence et de leur sang. Tu n’es pas née sous la tyrannie, tu ignores ce que c’est que se réveiller chaque matin avec la botte d’un maître sur la poitrine, tu ne t’es pas battue pour échapper au sabre du dictateur, aux poids faux du mauvais juge. Remercie tes pères et ne commets pas le crime d’acclamer le mensonge, de faire campagne avec la force brutale, l’intolérance des fanatiques et la voracité des ambitieux. La dictature est au bout.
Hanan Schlesinger, « Conflit et identité en Israël-Palestine » in Religions : les lieux et les nœuds du dialogue, revue Pour un Monde plus humain, UP for Humanness, fev 2021
Nous, Israéliens et Palestiniens, nions le récit de l’autre. Nous nions la douleur de l’autre. Nous nions en fait l’existence de l’autre en tant que collectif légitime et digne de reconnaissance. Ce déni de l’identité même de l’autre est devenu une partie intégrante de notre propre identité. Vous ne pouvez pas être un bon Israélien, normatif et intègre, tout en reconnaissant l’histoire palestinienne. Et vous ne pouvez pas être un bon Palestinien, normatif et intègre, tout en reconnaissant l’histoire juive israélienne.
Nous faisons cela pour nous défendre, parce que nous percevons notre réalité comme un jeu à somme nulle. Chaque camp s’est enfermé dans son propre orgueil d’exclusivité, où si votre peuple est réel, le mien est un mensonge. Si votre connexion à la terre est légitime, alors la mienne est illégitime. Nous croyons tous deux que nous nous battons pour la vérité, mais il n’y en a qu’une.
La clé, bien sûr, est de comprendre que vous n’avez pas besoin d’avoir tort pour que j’aie raison. Nous devons trouver le moyen d’amener deux vérités dans un seul cœur. L’existence du peuple juif ne nécessite pas la non-existence du peuple palestinien. Le lien entre les Juifs et la terre n’annule pas le lien entre les Palestiniens et la terre. L’horreur de l’Holocauste ne nous oblige pas à ignorer et à effacer la Nakba.
Sabine Sicaud, « La Paix », Poèmes d’enfant, 1926
Comment je l’imagine ? Eh bien, je ne sais pas… Peut-être enfant, très blonde, et tenant dans ses bras des branches de glycine ?
Peut-être plus petite encore, ne sachant
Que sourire et jaser dans un berceau penchant Sous les doigts d’une vieille femme qui fredonne…
Parfois, je la crois vieille aussi… Belle, pourtant, De la beauté de ces Madones
Qu’on voit dans les vitraux anciens. Longtemps – Bien avant les vitraux – elle fut ce visage
Incliné sur la source, en un bleu paysage
Où les dieux grecs jouaient de la lyre, le soir.
Mais à peine un moment venait-elle s’asseoir Au pied des oliviers, parmi les violettes. Bellone avait tendu son arc… Il fallait fuir. Elle a tant fui, la douce forme qu’on n’arrête Que pour la menacer encore et la trahir !
Depuis que la terre est la terre
Elle fuit… Je la crois donc vieille et n’ose plus Toucher au voile qui lui prête son mystère. Est-elle humaine ? J’ai voulu
Voir un enfant aux prunelles si tendres !
Où ? Quand ? Sur quel chemin faut-il l’attendre
Et sous quels traits la reconnaîtront-ils
Ceux qui, depuis toujours, l’habillent de leur rêve ? Est-elle dans le bleu de ce jour qui s’achève
Ou dans l’aube du rose avril ?
Écartant, les blés mûrs, paysanne aux mains brunes Sourit-elle au soldat blessé ?
Comment la voyez-vous, pauvres gens harassés, Vous, mères qui pleurez, et vous, pêcheurs de lune ?
(…) Et puis, je me souviens…
Un son de flûte pur, si frais, aérien,
Parmi les accords lents et graves ; la sourdine De bourdonnants violoncelles vous berçant Comme un océan calme ; une cloche passant, Un chant d’oiseau, la Musique divine,
Cette musique d’une flotte qui jouait,
Une nuit, dans le chaud silence d’une ville ; Mozart te donnant sa grande âme, paix fragile…
Je me souviens…
Mais c’est peut-être, au fond, qui sait ?
Bien plus simple… Et c’est toi qui, la connais,
Sans t’en douter, vieil homme en houppelande, Vieux berger des sentiers blonds de genêts,
Cette paix des monts solitaires et des landes,
La paix qui n’a besoin que d’un grillon pour s’exprimer.
Au loin, la lueur d’une lampe ou d’une étoile ; Devant la porte, un peu d’air embaumé…
Comme c’est simple, vois ! Qui parlait de tes voiles Et pourquoi tant de mots pour te décrire ? Vois, Qu’importent les images : maison blanche,
Oasis, arc-en-ciel, angélus, bleus dimanches ! Qu’importe la façon dont chacun porte en soi, Même sans le savoir, ton reflet qui l’apaise, Douceur promise aux coeurs de bonne volonté…
Ah ! tant de verbes, d’adjectifs, de périphrases ! – Moi qui la sens parfois, dans le jardin, l’été,
Si près de se laisser convaincre et de rester Quand les hommes se taisent.