Enfants et écrans, le cri d’alerte ignoré des pédiatres

par | 6 Juin 2024 | Protection de l’enfance et engagement de la jeunesse, Santé et soin

Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en février-avril 2023

Se poser la question de la place des technologies dans notre société invite à réfléchir à l’approche des plus jeunes générations. Pédiatre spécialiste de l’addiction aux écrans, le Dr Sylvie Dieu Osika, via le collectif COSE notamment, cherche à faire entendre le cri d’alerte de la profession sur les (immenses) risques encourus.

 

La 4G, le Wifi et les écrans nomades permettent de télécharger tout, partout et à tout moment.

Ils offrent d’extraordinaires possibilités. Néanmoins, n’oublions pas les conséquences chez les enfants notamment sur le temps volé aux autres activités (sommeil, apprentissage…1). Une double éducation des parents à leurs enfants est à présent nécessaire : celle dans le monde réel et celle dédiée au numérique pour éviter de nombreux troubles liés à une exposition inadaptée aux écrans.

Ainsi quel que soit l’âge, le sommeil est très souvent touché en qualité et/ou en quantité. De nombreuses études ont montré une corrélation entre l’utilisation des écrans et un mauvais sommeil. Ainsi Carter et Hale, en 2016 dans une métanalyse sur un échantillon d’environ 125 000 enfants âgés de 6 à 19 ans, retrouvent une quantité de sommeil insuffisante, une mauvaise qualité de sommeil et un endormissement exagéré en journée si l’écran est trop utilisé2. Le manque de sommeil entraîne des troubles de l’humeur, des difficultés d’attention et de concentration, préjudiciables aux apprentissages et au bien-être3,4.

Des difficultés scolaires peuvent alors apparaître. On décrit notamment pour les adolescents, une augmentation de l’anxiété et de la dépression au-delà de 4 h d’écran par jour5. De plus, les troubles de l’attention ont certes toujours existé mais leur fréquence ne cesse d’augmenter. Des études mettent en évidence une corrélation entre temps d’écran et troubles de l’attention6,7. L’activité physique est également touchée et diminue fortement à 11 ans (âge du premier portable !).

Troubles du langage et isolement

Chez les plus jeunes on voit des difficultés de motricité fine avec une mauvaise  tenue du crayon8,9. On constate également un tableau clinique nouveau : des enfants de 2-3 ans qui ne parlent pas mais qui répètent en boucle « Disney ou Sam pompier ». D’autres peuvent aussi énoncer des nombres en anglais (à la fierté de leurs parents) alors même qu’ils ne parlent pas correctement dans leur langue maternelle. Il suffit de regarder les contenus diffusés par Gulli ou sur YouTube kid pour comprendre : ces programmes sont truffés de petites vidéos où sont répétés en boucle « three, four ». Ce langage plaqué a même reçu une appellation : le YouTublish !

Des troubles cognitifs sont également mis en évidence chez des enfants trop exposés10. Un autre phénomène très inquiétant est observé : des troubles des interactions peuvent se mettre en place lorsque les parents ne croisent pas assez le regard de leur petit enfant ou quand ils ne répondent pas de façon adaptée à leurs sollicitations parce qu’ils sont eux-mêmes trop occupés par leur écran (on appelle cela la technoférence11). Dans les cas les plus graves on observe des enfants sans langage, isolés, sans recherche de contact avec les autres, aux intérêts restreints aux écrans12,13.

Pour permettre à l’enfant d’évoluer correctement, il faut donc mettre en place très tôt de bonnes habitudes, en ne laissant pas la télévision allumée quand l’enfant est dans la pièce même s’il ne la regarde pas, en demandant à l’adulte référent de ne pas regarder d’écran en présence de l’enfant, de ne pas utiliser d’écran pour le calmer et de ne pas mettre l’enfant de moins de 2 ans devant un écran (en dehors des photos/vidéos familiales ou de Skype). Pour l’enfant scolarisé, on préconise la règle des 4 Pas : Pas d’écran le matin avant l’école et pas avant une certaine heure définie à l’avance le week-end et les jours de vacances ; Pas d’écran au moins une heure avant le coucher ; Pas d’écran en mangeant dont la télévision ; Pas d’écran dans la chambre. 

Les risques de la captologie

L’entrée au collège est souvent synonyme d’acquisition d’un smartphone. Il est nécessaire que les parents prennent le temps de s’informer et d’informer leurs enfants sur les mécanismes mis en place par les réseaux sociaux, par YouTube ou par les jeux vidéo pour capter l’attention et augmenter la dépendance. En effet, la captologie, créée par  Brian J. Fogg en 2007 à Stanford, est une nouvelle science qui s’exerce sur toutes les plateformes. De nombreux systèmes sont utilisés pour nous rendre « accros » et bien sûr les enfants ne sont pas épargnés. Cette captation allonge notre temps d’exposition et de recherche sur internet ce qui permet d’enregistrer nos données personnelles et cibler la publicité14. 

L’accès à internet doit donc être contrôlé car en quelques clics, les enfants sont exposés à des images violentes ou pornographiques très facilement. Donner un portable à son enfant muni de la 4G et/ou d’un accès Wifi sans contrôle, c’est prendre le risque « de l’autoriser » à regarder un film non adapté pour son âge, à jouer à des jeux déconseillés, à faire des rencontres inadaptées sur les réseaux sociaux … Ce que les parents ne feraient pas dans la vraie vie. Pour cela, il faut faire respecter les 4 Pas et connaitre les âges conseillés pour les jeux via la recommandation PEGI (par exemple Fortnite après 12 ans) et pour les réseaux sociaux (13 ans). Il faut également faire respecter un temps d’écran par jour à décider ensemble et le plus souvent envisager un contrôle parental.  

Pendant cette dernière décennie, nos rapports à l’information, nos échanges personnels et professionnels, nos accès à la vidéo … ont été bouleversés. Bien maitrisé, l’accès au monde numérique est une formidable chance pour nos enfants. Néanmoins, ce nouveau monde nécessite des règles pour tous et notamment des mesures pour protéger les plus vulnérables que sont les enfants. Soyons vigilants !

SOURCES
1 Osika E : The negative effects of new screens on the cognitive functions of young children require new recommendations, Italian Journal of Pediatrics, 2021; 47 : 223. 2 Carter B, Rees P, Hale L : A meta-analysis of the effect of media devices on sleep outcomes, JAMA Pediatr, 2016; 170:1202-8. 3 Beyens I, Nathanson A I, Electronic media use and sleep among preschoolers: evidence for time-schifted and less consolidated sleep, Health Commun, 2019; 34: 537-44. Cheung CH, Bedford R, Saez de Urabain IR: Daily touchscreen use in infants and toddlers is associated with reduced sleep and delayed sleep onset, Sci Rep, 2017; 7 : 46104. Twenge JM, Martin GN, Campbell WK: Decreases in psychological well-being among American adolescent after 2012 and links to screen time during the rise of smartphone technology. Emotion, 2018; 18: 765-80. Ra CK, Cho J, Stone MD: Association of digital media use with subsequent symptoms of attention-deficit/hyperactivity disorder among adolescent. JAMA, 2018; 320 : 255-63. Zimmerman FJ, Christakis DA : Associations between content types of early media exposure and subsequent attentional problems, Pediatrics, 2007; 120 : 986-92. Santé publique France : « étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban), 2014-2016, février 2020. Winterstein P, JungwirthRJ : Media usage and passive smoking in preschool children: risk factors for cognitive development?, Kinderkrankenschweste, 2015; 34 : 266-72. 10 André A, Cochetel O: Temps d’exposition aux écrans et graphomotricité des enfants de 5 à 6 ans, 2022/1 vol 34 : 21-44. 11 Madigan S, Browne D, RacineN : Association between screen time and children’s performance on a developmental screening tes, JAMA Pediatr, 2019 ; 173 : 244-50. 12 McDaniel BT, Radesky JS. Technoference: longitudinal associations between parent technology use, parenting stress, and child behavior problems. Pediatr Res. 2018;84(2):210 8. 13 McDaniel BT, Radesky JS. Technoference: longitudinal associations between parent technology use, parenting stress, and child behavior problems. Pediatr Res. 2018;84(2):210 8.  14 Dieu S, Bossiere MC, Osika E : Early media overexposure (EMO) syndrome must be suspected in toddlers who display speech delay with autim-like symptoms, Glob Pediatr Health, 2020; 7: 2333794X20925939.

 

Sylvie Dieu Osika

Pédiatre en ville et à l’hôpital, elle est membre-fondatrice du Collectif Surexposition écrans (CoSE) et consulte à ce sujet pour les moins de 6 ans à l’hôpital Jean Verdier de Bondy (93). Sylvie a publié Les écrans, mode d’emploi pour une utilisation raisonnée en famille (Hatier, 2018), Le sommeil des enfants (Hatier, 2020) et dernièrement L’ABCdaire de la première année de bébé (Hatier, 2022). 

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