Lettre du confinement n°7 – Le rire
Il est coutume le 1er mai d’offrir quelques brins de muguet à ceux que nous aimons et de leur souhaiter ainsi, avec le délicat parfum de cette fleur amusante, fragile et lumineuse, beaucoup de bonheur. Alors veuillez recevoir, à travers cette lettre sur le rire, ce vœu pour chacun de vous de la part de toute l’équipe de UP for Humanness.
Le rire est une des expressions du bonheur et de la joie, il surgit du plus profond de nous et transporte notre corps tout entier. Le rire est aussi l’aide admirable qui permet à la joie de refaire son entrée malgré des circonstances difficiles, douloureuses. « L’humour est la politesse du désespoir », disait Boris Vian. Le rire permet de chasser la mélancolie, le rire est soleil, le rire est le signe d’une énergie vitale qui veut s’exprimer… Que cette lettre nous donne l’occasion et le désir de rire ensemble et d’appeler le rire en toute situation, ni jaune, ni moqueur mais empli de bonté et d’humanité, bien entendu !
Respirer et rire grâce à l’art
Respirer par la littérature…
Le rire… C’est étrange, le rire… Ça nous prend, ça nous surprend, ça nous cueille… Chacun a son rire, son propre rire, mais parfois le rire nous échappe… On dit : « le rire m’a échappé. » Faut pas compter sur la pensée pour le rattraper.
Est-ce qu’on peut penser et rire en même temps ? … C’est difficile. Parfois, on rit d’abord et on pense après. On dit : « j’ai ri, mais c’était pas terrible. » Parfois, on pense d’abord et on rit après. On dit : « plus j’y pense, plus ça me fait rire. » Quand quelqu’un nous dit : « je vais vous raconter une histoire, vous allez rire. » Ça nous fait penser. Mais est-ce que ça nous aide à rire ?
À un moment, on était toute une bande de rires. Il y avait Rire sous Cape, Rire Grêle, Rire Jaune, Fou Rire, Pouffe de Rire, Rire en Coin, Rire en Dedans, Rire en Dessous, Rire en Vrille. Moi, j’étais Rire Fragile.
Rire Fragile.
Philippe Avron (1928 – 2010), extrait de la pièce Rire Fragile
Cosette avait permission de venir tous les jours passer une heure près de lui. Comme les sœurs étaient tristes et qu’il était bon, l’enfant le comparait et l’adorait. À l’heure fixée elle accourait vers la baraque. Quand elle entrait dans la masure, elle l’emplissait de paradis. Jean Valjean s’épanouissait, et sentait son bonheur s’accroître du bonheur qu’il donnait à Cosette. La joie que nous inspirons a cela de charmant que, loin de s’affaiblir comme tout reflet, elle nous revient plus rayonnante. Aux heures des récréations, Jean Valjean regardait de loin Cosette jouer et courir, et il distinguait son rire du rire des autres.
Car maintenant Cosette riait.
La figure de Cosette en était même jusqu’à un certain point changée. Le sombre en avait disparu. Le rire, c’est le soleil ; il chasse l’hiver du visage humain.
Victor Hugo, Les Misérables, « Cosette », II, VIII, 9, 1862
… et la philosophie de Bergson
Que signifie le rire ? Qu’y a-t-il au fond du risible ? Que trouverait-on de commun entre une grimace de pitre, un jeu de mots, un quiproquo de vaudeville, une scène de fine comédie ? Quelle distillation nous donnera l’essence, toujours la même, à laquelle tant de produits divers empruntent ou leur indiscrète odeur ou leur parfum délicat ? Les plus grands penseurs, depuis Aristote, se sont attaqués à ce petit problème, qui toujours se dérobe sous l’effort, glisse, s’échappe, se redresse, impertinent défi jeté à la spéculation philosophique.
Notre excuse, pour aborder le problème à notre tour, est que nous ne viserons pas à enfermer la fantaisie comique dans une définition. Nous voyons en elle, avant tout, quelque chose de vivant. Nous la traiterons, si légère soit-elle, avec le respect qu’on doit à la vie. Nous nous bornerons à la regarder grandir et s’épanouir. De forme en forme, par gradations insensibles, elle accomplira sous nos yeux de bien singulières métamorphoses.
Nous ne dédaignerons rien de ce que nous aurons vu. Peut-être gagnerons-nous d’ailleurs à ce contact soutenu quelque chose de plus souple qu’une définition théorique, — une connaissance pratique et intime, comme celle qui naît d’une longue camaraderie. Et peut-être trouverons-nous aussi que nous avons fait, sans le vouloir, une connaissance utile. Raisonnable, à sa façon, jusque dans ses plus grands écarts, méthodique dans sa folie, rêvant, je le veux bien, mais évoquant en rêve des visions qui sont tout de suite acceptées et comprises d’une société entière, comment la fantaisie comique ne nous renseignerait-elle pas sur les procédés de travail de l’imagination humaine, et plus particulièrement de l’imagination sociale, collective, populaire ? Issue de la vie réelle, apparentée à l’art, comment ne nous dirait-elle pas aussi son mot sur l’art et sur la vie ?
Henri Bergson, Le rire. Essai sur la signification du comique, Genève, Albert Skira, 1945, p. 15-16.
… ou de Spinoza
Entre la moquerie et le rire, je fais une grande différence. Car le rire, comme aussi la plaisanterie est une pure joie ; et par conséquent, pourvu qu’il ne soit pas excessif, il est bon par lui-même. Et ce n’est certes qu’une sauvage et triste superstition qui interdit de prendre du plaisir. Car, en quoi conviendrait-il mieux d’apaiser la faim et la soif que de chasser la mélancolie ?
Spinoza, Ethique, IV, Paragraphe 45
Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain. Un paysage pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant ou laid ; il ne sera jamais risible. On rira d’un animal parce qu’on aura surpris chez lui une attitude d’homme ou une expression humaine. On rira d’un chapeau, mais ce qu’on raille alors, ce n’est pas le morceau de feutre ou de paille, c’est la forme que les hommes lui ont donnée, c’est le caprice humain dont il a pris le moule.
Henri Bergson, Le rire
Respirer et rire par la musique
T’as voulu voir le salon – Les goguettes en trio (mais à quatre)
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