D’une expérimentation à une autre, une (re)mise en mouvement des problématiques en présence est possible ; sans pour autant dévoiler ce qui se joue, même si l’art-thérapeute le devine pour partie. L’air de rien, un processus de transformation s’opère tapis dans l’ombre. « Ce travail subtil qui prend les vulnérabilités comme matériau, recherche moins à dévoiler les significations inconscientes des productions qu’à permettre au sujet de se recréer lui-même, se créer de nouveau, dans un parcours symbolique de création en création.1 »
L’art au service des personnes exclues
La rencontre avec la personne accompagnée, l’instauration d’un lien de confiance avec l’art-thérapeute et ce dans un espace sécurisé, sont des conditions minimums pour que le travail de transfert puisse s’opérer. Suivant les établissements de santé, ces premiers items peuvent demander de la pédagogie et un travail de sensibilisation en interne pour tendre vers une perception plus juste de ce métier sans confusion avec une activité artistique occupationnelle.
Les dispositifs proposés sont définis suivant le public accompagné et les sujets à mettre au travail.
Dans un établissement d’accueil médicalisé (EAM), j’ai accompagné, sur indication de la psychiatre, une personne victime d’un AVC ayant perdu l’usage de la parole et de l’écriture. Le contact avec des fils de laine lui a procuré beaucoup de joie. La douceur naturelle de cette matière a ouvert une autre forme d’expression et lui a apporté un peu d’apaisement.
Dans une maison de retraite, une personne âgée m’a été adressée par la psychologue. Elle ne sortait plus de sa chambre. L’atelier accueillait quatre personnes. Au démarrage du premier atelier, Madame H. est prise d’une crise d’angoisse. Elle est raccompagnée dans sa chambre. Au deuxième atelier, je lui offre une fleur à son arrivée. Elle a assisté à tout l’atelier, même si elle est restée inerte sur sa chaise. Aux ateliers suivants, j’ai mis en place un jeu de transmission de balle entre les résidents pour délier les doigts avant d’initier le temps de peinture. Un jour, la balle a roulé vers ses mains posées sur la table et l’a touchée. En soulevant un doigt, elle a repoussé la balle. Atelier après atelier, elle s’est mise à bouger un doigt, puis deux, puis la main, les deux mains, puis à prendre un pinceau et peindre. Plus tard, en regardant sa production elle prononce les mots suivants : « ça s’envole ». Qu’est-ce qui a bien pu s’envoler ? Lors d’un point d’étape avec la psychologue, j’apprends que Madame H. se rend d’elle-même aux activités organisées et participe. Quelque chose a permis à Madame H. de reprendre contact avec le vivant.
Conscience ou inconscience
Les personnes ne sont pas toujours conscientes des changements qui s’opèrent en eux, même s’ils sont identifiables par l’art-thérapeute. Et c’est mieux ainsi. Certains en prennent conscience des mois ou des années plus tard, d’autre pas. Qu’est-ce qui pourrait avoir remis du mouvement ? Seules des hypothèses peuvent être posées. L’essentiel est d’accompagner ce qui se présente pour la personne à cet instant pour avancer d’un pas de plus sur son chemin vers un mieux-être.
En passant par des productions artistiques, l’art-thérapie propose de contourner les résistances au changement autrement. Il est parfois judicieux d’employer ce détour pour court-circuiter les ruses de l’inconscient tant certains schémas de fonctionnement peuvent être profondément engrammés2.
Le croisement des disciplines et des approches ouvre un champ d’analyse passionnant et très bénéfique pour les personnes accompagnées. L’art-thérapie gagnerait à se développer dans tous les établissements de santé, le champ médico-social et bien plus encore.
1 KLEIN J-P, Penser l’art-thérapie, Paris, PUF, p106 2 Engramme, de l’allemand Engramm, est un terme issu du grec en et gramma. En neurophysiologie, l’engramme est la trace biologique de la mémoire dans le cerveau.
Nathalie Gassmann
Après une carrière commerciale dans des grands groupes agro-alimentaires, sa quête de sens et son envie de contribuer à un monde plus épanoui se fait ressentir. Diplômée de l’INECAT (Institut National d’Expression, de Création, d’Art et Thérapie) à Paris, elle exerce le métier d’art-thérapeute en arts plastiques et de médiatrice artistique en relation d’aide