« LE MILIEU ASSOCIATIFET PLUS LARGEMENTLES CITOYENS PALLIENT LES MANQUES DE L’ÉTAT »

par | 18 Sep 2024 | Autres

Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en  juin-septembre 2023

  Lors de l’entretien croisé réalisé par notre revue avec Julia Montfort et Abdelhaq Adam, au-delà du parcours d’Abdelhaq nous avons abordé plus globalement la situation des réfugiés en France et les initiatives d’accueil, d’accompagnement. De cet échange, voici quelques éléments qui nous ont paru éclairants quant à l’état des lieux sur ce sujet.

Il n’y a pas de recensement scientifique ou journalistique qui quantifierait le nombre de citoyens, de familles, qui ont ouverts leurs portes aux réfugiés. Depuis l’arrivée massive de réfugiés syriens en 2015 jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas eu de réelles statistiques. Dans mon livre, je fais l’estimation de dizaines de milliers de citoyens qui ouvrent leurs portes, mais j’assume que c’est avant tout pour poser un chiffre.

Après avoir accueilli Abdelhaq, j’ai reçu de nombreux témoignages de personnes qui me disaient que leur cousin, leur sœur, leur collègue… hébergeaient. Puis j’ai commencé ma série de documentaires sur ce thème, les Carnets de solidarité, et j’ai alors reçu des centaines de mails de personnes qui m’adressaient leurs témoignages, voulaient en parler, étaient touchées par le fait que j’ai vécu la même chose qu’elle…

Ce geste de l’accueil n’est pas héroïque, il n’est pas à glorifier : c’est difficile, c’est complexe. Ceux qui m’ont upforhu.org écrit avaient envie de témoigner aussi pour la portée politique. Ces « accueillants » ont été pour moi le reflet d’une France bigarrée qui m’a fascinée, aussi bien celle des beaux quartiers – comme à deux pas de la tour Eiffel – que celle de chambres étudiantes, et de toutes les générations, de tous les schémas familiaux, de toutes professions… Des citoyens qui ouvrent leurs portes dans les grandes villes mais aussi aux frontières, à Calais, au Pays basque, près de la frontière italienne ou encore dans des coins reculés.

Et du côté des réfugiés aussi, évidemment, j’ai rencontré aussi bien des personnes persécutées en raison de leurs origines, des familles de dissidents politiques, des mères ayant fui une situation familiale compliquée, des adolescents issus de familles dysfonctionnelles où ils n’avaient pas leur place, des personnes discriminées en raison de leur orientation sexuelle, des personnes qui fuyaient une situation économique liée notamment au climat… Et jamais une seule personne, comme on voudrait nous le faire croire, qui serait là pour profiter des prestations sociales en ne ‘‘faisant rien’’. Je n’ai rencontré que des gens qui ne pensaient qu’à travailler, à s’intégrer, à apprendre.

L’impulsion commune aux différentes histoires d’accueil que j’ai voulu mettre en lumière était un dégoût face à l’inaction politique et face à la pulsion de rejet, une sorte de dénominateur commun : « Je ne peux plus supporter de voir des personnes mourir en mer, aux frontières… ». Il y a aussi ceux qui ont vu s’installer un camp à côté de chez eux, s’y sont intéressés et se sentent happés par le sujet dans un élan de solidarité spontanée.

Bénévoles, associations, retraités… et des structures débordées

J’ai le sentiment qu’il y a de grosses lacunes de prise en charge en particulier sur des questions d’ordre psychologique. Bon nombre de personnes qui ont connu un parcours migratoire et se sont heurtées à la ‘‘pulsion de mur’’ en arrivant en France ou en Europe ne vont pas bien, ont besoin d’un suivi psychologique et là-dessus les structures sont débordées. Les associations qui remplissent ce rôle-là comme Primo Levi ont des délais d’attente énormes… Et je sais que si le mental ne va pas lorsqu’on est en demande d’asile, on sera bloqué dans l’apprentissage du français, on sera vulnérable, susceptible de tomber dans l’errance.

« Seul ce genre d’associations permettent de s’en sortir »

Le milieu associatif pallie des manques criants de l’État. L’hospitalité tient en grande partie sur ces bénévoles, ces associations, ces retraités qui s’organisent pour pallier ce manque. Il y a une sidération des citoyens qui accueillent et qui ne parviennent pas à ce que des exilés accèdent aux soins, aux rendez-vous en préfecture via des systèmes numériques inaccessibles…

Le plus tragique est que l’on sait que ces exilés vont continuer d’arriver, on sait qu’on est à l’aune de nouvelles migrations climatiques, mais on continue à avoir des œillères : on ne met pas en place des structures suffisantes pour accueillir dignement. On est a maxima dans le secours, lorsqu’on secourt. Il faut ensuite vraiment accueillir, et intégrer. Et pour ça il faut des politiques encore inexistantes, une vision d’avenir. Malheureusement aujourd’hui même cet accueil de secours n’est pas une évidence pour tous.

Initiatives prometteuses Paradoxalement, je suis convaincue que les déplacés ukrainiens ont été très bien accueillis en France. Ça a été un modèle d’accueil qui ne demande qu’à être dupliqué ! Leur arrivée a été accompagnée de discours empathiques, on a mis les moyens… Il faut saluer ça. La France est capable d’accueillir : 634 millions d’euros2 ont été dépensés uniquement pour les Ukrainiens en 2022. Tant qu’il n’y aura pas une voix politique forte qui portera ce terme de l’hospitalité que je n’entends nulle part, les choses ne bougeront pas. Il y a une crise des politiques d’hospitalité mais aussi une crise du discours… À ce mot d’« hospitalité » on préfère ceux de « migration », d’« immigration »…

L’espoir est aussi dans certains groupements comme l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita), une initiative née grâce à Damien Carême, l’ancien maire de Grande-Synthe devenu député européen. Ce maire (élu du Groupe des Verts / Alliance libre européenne) a déclaré sa ville « accueillante » et s’est prononcé pour un accueil inconditionnel. Aujourd’hui Lyon, Montpellier, Paris, Bagnolet en font partie… ces villes veulent rappeler l’État à ses obligations d’hébergement et faire de la sensibilisation auprès des citoyens.

À Grande-Synthe, Damien Carême a réuni les habitants dans la salle municipale pour leur expliquer qui étaient ces gens qu’ils voyaient arriver de Calais, ce qu’est la migration, ce qui mène à tout quitter, comment ils allaient s’organiser, ce que cela représentait en nombre… etc. Pour moi c’est une lueur d’espoir : la preuve qu’il y a des choses mises en place dans ces villes et l’envie que cette association grandisse.

Je crois aussi beaucoup en des initiatives comme le Refugee Food Festival1 qui sensibilise aux mouvements migratoires par la gastronomie : par exemple un chef réfugié soudanais prend les commandes de la cantine d’une école et tous les élèves vont déguster ce plat, et on va découvrir le parcours d’exil de ce chef. Des associations viennent, il y a des projections… on voit le regard des jeunes changer.

Propos recueillis par Amaury Perrachon.

1 Initiative citoyenne née en 2016 à Paris, le Refugee Food Festival est porté par l’association Food Sweet Food en par tenariat avec le HCR des Nations unies, il existe une résidence permanente à Paris dans le 12e arrondissement et une édition annuelle qui a lieu chaque année à la fin du mois de juin simul tanément dans différentes villes. 2 Source : site internet de la Cour des Comptes (www.ccomptes.fr), article du 28 février 2023.

Julia Montfort

Journaliste, elle a accepté d’accueillir Abdelhaq chez elle avec son mari Cédric pendant un an et cela lui a inspiré différents reportages sur l’hospitalité, l’accueil des réfugiés en France: les Carnets de solidarité (disponibles sur YouTube et en librairie (Editions Payot). Elle a été marraine de l’édition 2021 des Trophées Artisans d’un monde plus humain de UP for Humanness sur le thème de la Confiance.

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