Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en septembre 2024
Espérer, c’est le mot qu’a choisi Jean-Philippe Cavroy pour aborder le sujet de la santé mentale. Loin de minimiser l’ampleur de l’évolution des maladies mentales et des enjeux sociaux et financiers qui l’accompagnent, il affirme qu’il existe plusieurs manières d’agir efficacement contre la progression de ces troubles psychiques dans notre société. De nombreuses initiatives sont soutenues notamment par la fédération Santé mentale France dont il est le délégué général.
Les troubles psychiques, et la santé mentale en général, sont un des gros enjeux de notre société. C’est également un des sujets les plus tabous et une source de représentations négatives pour la plupart des Français.
Alors comment espérer un changement de regard sur cet enjeu ? Et comment construire ensemble une psychiatrie et des pratiques de soins et d’accompagnement plus humaines, orientées vers le rétablissement des personnes ?
Voici plusieurs bonnes raisons d’espérer !
Parce que cela concerne beaucoup de personnes
Chaque année, 1 Français sur 5, soit environ 13 millions de personnes, est touché par un trouble psychique. Et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) affirme qu’une personne sur 4 sera touchée par un trouble psychique au cours de sa vie.
Ces chiffres impressionnants viennent confirmer ce que chacun peut bien souvent constater dans sa propre vie et/ou dans son entourage, et poussent à s’occuper pleinement de cet enjeu.
Parce que les choses semblent – malheureusement – s’aggraver, en particulier chez les plus jeunes
Nous n’avons jamais autant entendu parler de santé mentale, et en même temps, les conditions de vie semblent également n’avoir jamais été aussi favorables à la dégradation de la santé mentale de chacun. Ainsi la pandémie liée à la COVID-19 a mis en évidence les enjeux de la santé mentale dans de nombreux pays, dont la France. Et si la santé mentale est un enjeu pour tous les publics, on constate que les chiffres sont encore plus alarmistes chez les jeunes.
Parce que les enjeux financiers sont tout simplement énormes
Les coûts liés aux maladies psychiques sont évalués à 160 milliards d’euros (coûts directs et indirects). Sur cette enveloppe, il est clair que le regard actuel de la société sur la santé mentale génère des coûts sociaux et financiers élevés qui pourraient tout à fait être évités en partie.
Parce qu’en fait : il n’y a « pas de santé sans santé mentale » – comme l’affirme l’OMS
Il est maintenant évident que santé mentale et santé physique sont indissociables : les 2 dimensions doivent être prises en compte, chez chaque individu, de manière globale.
Parce que l’on peut agir efficacement
La prévention en matière de santé mentale est essentielle et efficace. Et loin d’être une fatalité, les troubles psychiques se diagnostiquent et se soignent de mieux en mieux, notamment grâce à la recherche et à une écoute adéquate des soignants. Enfin, un bon accompagnement des personnes dans leur parcoursde rétablissement peut porter tous ses fruits – à condition qu’il soit respectueux de leur vécu et de leurs droits.
Parce que c’est l’affaire de tous
Nous l’avons vu : d’une part, la santé mentale concerne tout le monde et est un continuum. Nous pouvons tous à un moment donné de notre vie rencontrer des difficultés et être en contact avec la fragilité psychique. Il ne s’agit pas de deux mondes différents : ceux qui sont en bonne santé mentale et ceux qui ont des troubles psychiques. Non, la réalité est plus complexe tout au long de notre vie, et cela renvoie à la capacité de notre société à accepter et vivre avec les fragilités – que nous avons tous plus ou moins et à certains moments.
D’autre part, la santé mentale… c’est l’affaire de tous ! Nous pouvons tous être mieux informés, changer notre regard, être plus vigilants à notre entourage, prendre mieux soin de nous et des autres, entretenir des liens sociaux, oser poser des questions et orienter vers les bonnes ressources.
Les propositions et initiatives pour cela se développent de plus en plus.
C’est le cas des formations « Premiers Secours en Santé Mentale » (PSSM), qui se sont développées depuis 4 ans et que propose notamment Santé mentale France. On compte aujourd’hui plus de 100 000 secouristes en France !
On voit aussi apparaître des initiatives comme des fresques sur la santé mentale (à l’instar de la fresque du climat) pour sensibiliser les citoyens, y compris dans le monde professionnel ; ou encore des sensibilisations et des soutiens auprès des jeunes et des étudiants sur la santé mentale ou la prévention du suicide (Association Nightline ; Association Dites je suis là ; Dispositif « Ambassadeurs en santé mentale », etc.)
Parce que c’est le bon moment
Une prise de conscience a été amorcée dans la population depuis la crise sanitaire, en France comme dans de nombreux pays. Des personnalités osent désormais prendre publiquement la parole pour s’exprimer sur leur santé mentale, leurs troubles, et parler de leur souffrance psychique. De nombreuses innovations émergent et contribuent à transformer les pratiques ainsi que les prises en charge ; à améliorer la qualité de vie des patients et de leurs proches ; enfin, à déconstruire les préjugés liés à ces troubles.
La santé mentale : Grande Cause Nationale 2025 ?
Il est donc urgent et nécessaire de développer une véritable culture de la santé mentale, de la promotion du bien-être mental, de la prévention et de la détection précoce des troubles psychiques, mais aussi de leurs prises en charge et de l’accompagnement des personnes concernées et de leurs proches.
Avec plusieurs des principales associations en santé mentale, la fédération Santé mentale France a initié un collectif pour faire campagne et demander à ce que la santé mentale soit la Grande Cause Nationale 2025. Une pétition a été lancée auprès du grand public dans ce sens.1
Les pouvoirs publics semblent sensibles à cette cause, de manière trans-partisane, et notamment de nombreux députés, sénateurs, et élus de terrain qui sont confrontés à des situations alarmantes au quotidien.
Une psychiatrie plus humaine et des pratiques orientées rétablissement
C’est ce que porte la fédération Santé mentale France. Une psychiatrie plus humaine, humaniste, avec l’idée de mettre la personne au cœur, et partir de ce qu’elle souhaite pour elle-même, en prenant en considération ses choix et toutes les dimensions de sa vie, dans les soins et les accompagnements que l’on peut apporter. Si l’on ne peut pas toujours « guérir » des maladies psychiques, la personne peut néanmoins « se rétablir ».
Qu’est-ce que le rétablissement ?
C’est une démarche personnelle, un cheminement, un processus engagé dans la durée par la personne lorsqu’elle prend conscience que, bien qu’elle soit confrontée à des troubles psychiques, elle peut reprendre en main son destin personnel, retrouver des raisons d’espérer et un pouvoir d’agir (empowerment). C’est le mouvement par lequel la personne arrive à vivre « au mieux » et à avoir la vie la plus épanouissante possible avec toutes les dimensions de son être, y compris cette partie que sont la maladie, les difficultés psychiques.
Il s’agit donc, après avoir réussi à contrôler ou vivre avec les symptômes et avoir réappris à exercer certaines habiletés de fonctionnement, de (re)trouver une citoyenneté pleine et entière.
Les pratiques orientées rétablissement s’appuient sur quelques principes et valeurs comme l’espoir (d’un mieux-être et d’avoir une vie épanouie),l’autodétermination et le pouvoir d’agir, l’identité et la confiance en soi, (dépasser la stigmatisation), le soutien et l’entraide (entre pairs). Elles se fondent sur les forces et objectifs de la personne, mais encore sur les ressources de la société.
Aujourd’hui, nous avons donc de bonnes raisons d’espérer…
Espérer que la santé mentale soit effectivement considérée comme un enjeu national.
Espérer que les politiques publiques soient à la hauteur des enjeux de prévention, de prise en charge, et d’accompagnement des personnes dans leur vie de citoyen à part entière et des familles et proches dans les difficultés auxquelles elles sont, elles aussi confrontées.
Espérer que tous les Français soient informés et se sentent concernés par leur santé mentale et celle de leurs proches, avec un regard juste et inclusif.
Ainsi, nous pourrons aider les personnes (et leurs proches) à sortir de la honte, de l’isolement, des impasses, à se remettre debout, à avoir de l’espoir, à s’autoriser à retrouver un véritable projet de vie… et à apporter leur indispensable contribution à la société.
Précision
Au milieu du XIXe siècle, d’anciens alcooliques américains se sont mis à se réunir en recovery- circles, des groupes de soutien mutuel dans la démarche d’abstinence. Retrouver un sens positif à leur vie et maintenir leurs efforts contre l’addiction était pour eux une forme de rétablissement, cela a donné naissance, plus tard, aux Alcooliques anonymes. Cette pratique s’est peu à peu développée et porte ses fruits : depuis les années 1980 elle sauve des personnes vivant par exemple la dépression ou la schizophrénie, il ne s’agit pas exactement de guérir mais plutôt de « mieux vivre avec ».
Elle est donc la principale invitation d’un grand nombre de psychiatres aujourd’hui, tant que les traitements et interventions non-médicamenteuses ne suffisent pas à pallier toutes les souffrances. On parle de « pratiques orientées rétablissement » dont les piliers en sont l’espoir, le pouvoir (l’autodétermination) et l’inclusion sociale.
Jean-Philippe Cavroy
Il est délégué général de la fédération Santé mentale France, qu’il rejoint en septembre 2020, après avoir dirigé l’association Clubhouse Paris pendant 8 ans.