Parcours en santé mentale : des ombres éclatantes à la lumière

par | 19 Nov 2024 | Santé et soin

Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en septembre 2024

Après avoir lui-même été diagnostiqué de plusieurs maladies mentales, Luc Vigneault témoigne ici de son expérience et de la manière dont il l’utilise pour venir en aide aux personnes malades et à leur entourage à travers les conférences et les formations qu’il organise.

De nos jours, l’angoisse d’être reconnu comme fou demeure réelle. Je sais de quoi je parle, j’ai été traité pour la schizophrénie, la toxicomanie, la dépression et un trouble du déficit de l’attention. Mon récit en psychiatrie1 est celui d’une lutte contre l’ignorance et l’indifférence, une quête pour faire entendre ma voix dans un système souvent sourd aux nuances de ma souffrance. Mais c’est aussi une histoire de résilience, d’alliance, de persévérance et d’espoir. Car même au cœur de l’obscurité, il y a toujours une lueur qui guide le chemin vers le rétablissement. Aujourd’hui, je me suis réapproprié le pouvoir sur ma vie, grâce au soutien constant d’hommes et de femmes, qui ont cru en moi et qui m’ont aidé à maintenir le cap vers le rétablissement2.

Dans le labyrinthe des troubles mentaux, je me suis trouvé égaré, désorienté entre les méandres d’une psyché en ébullition et les méprises du système de santé mentale. Mon récit en psychiatrie est une saga marquée par les troubles cognitifs, l’errance diagnostique, l’ombrage diagnostique et la stigmatisation subtile, mais suffisamment puissante pour obscurcir le chemin vers le rétablissement.

J’ai souvent perdu contact avec la réalité et ma vie. Au fil des jours, je m’enfonçais dans mon délire, la souffrance devenant aiguë, intolérable. J’avais peur, je souffrais, j’avais envie de crier ma douleur. J’ai appris à me réfugier dans un monde qui m’appartenait en exclusivité, à moi seul ; je m’y sentais bien. Je m’inventais des histoires et différents personnages. L’égarement mental est un état difficile sur le plan physique. Qui aurait pu se douter que je souffrais autant !Délinquance, sexualité débridée et quoi encore, ma vie était devenue chaotique, folle. Vous m’avez peut-être déjà rencontré dans les rues, hirsute et hagard, criant des injures à l’intention d’interlocuteurs invisibles. Oui, le fou que vous avez vu, c’était peut-être moi.
Les premiers signes étaient comme des murmures à peine audibles, des pensées égarées, des souvenirs fugaces. Pourtant, ces indices discrets étaient des éclats de lumière dans l’obscurité, des avertissements précurseurs d’un défi imminent. Avant de recevoir de véritables soins, cela faisait quinze ans que j’étais suivi par une ombre qui me terrorisait. Quelques personnes savaient que j’avais pris l’habitude de me réfugier dans des personnages qui venaient prendre ma place quand je les appelais et qui me permettaient de m’absenter de moi-même.
Dans ce dédale de confusions, les errances diagnostiques étaient mon lot quotidien. En fait, dans mon quartier, il y avait un hôpital psychiatrique entouré d’une clôture. Les fous étaient à l’intérieur de la clôture et les gens dits normaux à l’extérieur. J’étais soulagé de me trouver du bon côté de la clôture et je ne pouvais pas m’imaginer, un jour, permuter de statut social par le simple fait de traverser cette clôture.

Je faisais partie des 2/3 des personnes qui vivent avec un trouble mental et n’osent pas aller chercher de l’aide3, et ce, de peur d’avoir un diagnostic en psychiatrie, inscrit dans notre dossier médical. Ma famille et moi étions loin de nous douter que la folie s’était emparée de mon cerveau. La maladie mentale, contrairement à la plupart des autres maladies, n’atteint pas seulement un organe ou un système. C’est un drame humain qui impacte toute la façon d’être au monde, la privant de sa capacité à gérer ses émotions, à comprendre les règles sociales et à être ostracisé par la société. Lorsque la maladie prend possession du cerveau, la personne se retrouve emprisonnée et perd sa liberté d’agir sur sa vie, ce qui la laisse entièrement démunie dans la façon de reprendre le contrôle de ses émotions, de sa personne et de sa vie.

De plus, ce drame humain impacte aussi toutes les membres de la famille et de ses proches. Ces derniers n’osent pas imaginer comment leurs proches a basculé du mauvais côté de la clôture. Ils font aussi partir des 2/3 des personnes qui n’osent pas parler de maladie mentale et sont habités par la honte que leur impose la stigmatisation. J’ai co-dirigé avec Tania Lecomte Ph. D. un ouvrage international Québec-France-USA sur les préjugés, discriminations et exclusions en santé mentale4. Dans le chapitre sur la stigmatisation dans les pratiques en santé mentale5, la revue de littérature faite par l’université de Bordeaux démontre que nos plus grands stigmatiseurs sont nos soignants.

Par ailleurs, la crédibilité des personnes aux prises avec des troubles mentaux en souffre également. J’ai collaboré comme patient partenaire avec un groupe de recherche en France ayant pour nom : Canopée. Cancers chez les personnes suivies pour des troubles psychiques sévères : quelles difficultés dans les parcours de soins ? À l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé6 (Irdes) à Paris.

Ce groupe s’intéresse d’ailleurs au fait que les maladies physiques, comme le cancer, sont sous-diagnostiquées chez ces personnes. Il n’est pas rare qu’une personne avec un dossier psychiatrique ne soit pas prise en charge adéquatement si elle se présente à l’urgence pour des symptômes physiques. On ne la croit pas toujours, on croit qu’elle imagine ses symptômes, que c’est dans sa tête. La surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique a été reconnue comme problème de santé publique depuis une dizaine d’années en France et au Canada. Si bien que l’espérance de vie des personnes vivant avec un trouble de santé mentale est de 15 ans à 20 ans de moins que la population en général7, et ce, dû à l’ombrage diagnostique, entre autres.

Les troubles cognitifs, ces perturbations dans la pensée, la perception et la mémoire, ont été des entraves redoutables sur le chemin de mon rétablissement. Comme des écueils invisibles, ils ont entravé ma capacité à suivre les traitements, à comprendre les consignes et à maintenir le cap vers le rétablissement. Pourtant, ils étaient relégués au second plan, considérés comme des symptômes accessoires plutôt que des obstacles cruciaux. Mes plaintes concernant les troubles cognitifs étaient souvent balayées d’un revers de main, attribuées à la fatigue, au stress ou à d’autres facteurs externes. Cette négligence a retardé mon accès aux traitements appropriés, prolongeant ainsi mon calvaire.

On croit souvent, à tort, que les personnes affectées par les troubles mentaux ont une intelligence inférieure à celle de la population générale ou bien qu’elles sont des personnes faibles. Il est important de savoir que 80 % des personnes ayant un trouble psychiatrique vivent avec des troubles cognitifs8. Ce qui est vrai, c’est que ces personnes doivent composer avec des déficits cognitifs variés affectant leur mémoire, leur capacité de concentration ou de réflexion et même leur aptitude à interagir avec les autres. En effet, la maladie mentale peut nuire grandement aux capacités cognitives d’un individu, incluant la cognition sociale. Cette dernière permet, par exemple, de décoder le langage non-verbal de son interlocuteur. Ces déficits cognitifs peuvent expliquer pourquoi les personnes malades ne se sentent pas elles-mêmes, peuvent sembler déconnectées de leur entourage ou agir de manière « bizarre ».

Il est important de bien comprendre comment se manifestent les déficits cognitifs. Déjà de pouvoir les reconnaître ; c’est un pas dans la bonne direction ! Les trousses Cerveau9 développées par la professeure Caroline Cellard Ph. D., à l’Université Laval à Québec, permettent de bien comprendre ces difficultés chez les adolescents et les adultes. Des stratégies aidantes sont aussi proposées dans ces trousses qui sont d’ailleurs libres d’accès. C’est un outil d’accompagnement destiné aux professionnels de la santé pour mieux accompagner les personnes qui présentent ces difficultés. Un cerveau « animé » est également disponible pour bien illustrer les difficultés à l’aide de petites capsules vidéo. J’apporte ici de l’espoir : ces difficultés cognitives sont parfois temporaires et réversibles grâce, entre autres, à certaines interventions neuropsychologiques.

Pourtant, au milieu de cette tempête de confusion, j’ai trouvé des lueurs d’espoir. Des professionnels de santé mentale bienveillants, à l’écoute de mes préoccupations, ont émergé tels des phares dans la nuit. Leur patience, leur compréhension et leur persévérance m’ont permis de lever le voile sur les troubles cognitifs, de les reconnaître et de les adresser avec diligence. En fin de compte, le rétablissement est un voyage continu, jalonné de petites victoires, d’apprentissages et de croissance personnelle. Il nous rappelle que, même dans les moments les plus sombres, la capacité de se réinventer et de trouver la lumière existe en chacun de nous. La promesse d’une vie pleinement satisfaisante est à la portée de tous, illuminant le chemin du rétablissement en santé mentale avec la flamme de l’espoir.

1 Vigneault L, Quintal ML, Demers MF, Champoux Y, Cormier C, Roy MA, Wallot H (2013). Je suis une personne, pas une maladie. Performance Édition, 338 pages

2 Vigneault L, Demers MF, Lehoux C, Achim AM, Cellard C, LeBlanc A, Roy MA, Corbière M, Houle J, Jacques P, Paquet K, Rice C, Rodriguez del Barrio L, Romain AJ, Shehyn P & Souffrant KA (2019). Cap sur le rétablissement : exiger l’excellence dans les soins et services en santé mentale. Performance Édition, 217 pages.

4 Vigneault L, Lecomte T et coll. (2022). Préjugés, discrimination et exclusion en santé mentale : Pour en finir avec la stigmatisation. Performance Édition, 264 pages

5 Kevin-Marc Valery1,2, Antoinette Prouteau1,2, Laboratoire de psychologie EA 4139, Université of Bordeaux, Bordeaux, France

8 Cognitive impairment, a central feature of the illness is present in over 80% of patients with schizophrenia, is a main determinant of functional disability and the indirect costs of the disease (McEvoy, 2007).

Luc Vigneault

Figure emblématique au Québec et dans la francophonie. Il est un patient partenaire de recherche et d’enseignement, vivant avec la schizophrénie. Il est également auteur prolifique d’ouvrages grand public, et docteur honoris causa en pharmacie. Tout à tour pair aidant, conseiller à la Direction d’un Institut universitaire en santé mentale, chargé d’enseignement de plusieurs universités. Fondateur d’une association nationale de patients en santé mentale. Aujourd’hui, Luc n’entend plus de voix. Il fait plutôt résonner la sienne pour changer les perceptions et être porteur d’espoir et de changement.

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