Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en février-avril 2023
Algorithmes, codage, mécanismes, histoire, enjeux et impacts du digital… L’entreprise COLORI propose aux enfants de 3 à 8 ans de se familiariser avec les bases du numérique et d’internet de façon ludique et sans passer par aucun écran ! Amélia Matar, cofondatrice, nous présente cette initiative et ce qui l’a inspiré.
Pourquoi former les enfants au numérique ? Comment le faire sans passer par les écrans ?
Le numérique est partout : dans nos foyers, à l’école, dans la rue… C’est très difficile pour nos enfants d’y échapper. La question est donc « comment tire-t’on profit de cet état de fait ? Comment fait-on pour que le numérique soit un facteur de réussite et pas une entrave à leur développement ? ». Il y a finalement peu de supports pédagogiques ou d’activités qui leur permettent de se saisir du sujet, de comprendre de quoi on parle, quelles sont les logiques sous-jacentes pour que cela fonctionne, quelle est l’histoire du numérique, qui en sont les grandes figures, etc.
Nous avons choisi d’avoir une approche déconnectée pour permettre à l’enfant une bulle de déconnexion.
COLORI a conçu trois modules principaux : « Algorithmes et programmation » (système binaire, logique booléenne, etc.), « Culture et vocabulaire » (composants en robotique, histoire de l’informatique, grandes figures, etc.), et enfin « Numérique responsable » (low tech, empreinte écologique, usages et mésusages des écrans…).
Au sein de ces différents modules, selon les âges des enfants, on propose des jeux de motricité – de coloriage, de découpage, de collage – des jeux de Memory, un jeu de 7 familles, un « cherche & trouve », un jeu de l’oie…
Certaines activités permettent de comprendre le fonctionnement des ordinateurs, de la programmation, du codage… Sans jamais passer par l’écran ou un ordinateur, des enfants de 3 ans peuvent ainsi se retrouver à coder un programme qu’un autre enfant va déchiffrer, ils vont comprendre ce qui mène à un bug, découvrir la transmission de l’information. Le deuxième module propose de plonger dans « la grande histoire du numérique », d’en comprendre les origines, les principaux acteurs, de remettre en avant notamment des femmes que l’Histoire a parfois un peu mises de côté malgré leur contribution.
Enfin, le dernier module permet de sensibiliser aux situations dans lesquelles l’usage du numérique est responsable et aux situations qui au contraire posent problème. On aborde aussi les bases de la low tech ou encore les étapes de fabrication d’un smartphone afin de bien faire comprendre l’énorme empreinte écologique de certaines technologies.
Comment lutter contre les risques du 100 % numérique, les addictions aux écrans ?
Nous ne sommes pas dans une approche de soin, nous n’avons pas mesuré la dimension « palliative » de notre approche. Quand on parle d’addiction on parle vraiment de pathologie, ce n’est pas notre rôle en tant qu’entreprise.
Précision :
COLORI est une méthode lancée en février 2018, pour permettre aux enfants de devenir acteurs de la technologie et limiter leur surconsommation des écrans. COLORI agit aujourd’hui dans une cinquantaine de villes, 120 écoles en France et une école au Maroc. L’entreprise accompagne ainsi environ 2 000 enfants par an.
COLORI veut participer à la lutte pour l’égalité des chances. « L’éducation au numérique doit pouvoir être une opportunité pour tous, quelle que soit la catégorie socio-professionnelle. Nous sommes d’ailleurs reconnus ESUS, entreprise solidaire d’utilité sociale, et sommes donc aidés à nous développer dans des territoires qui en ont particulièrement besoin ».
COLORI organise aussi des conférences pour les parents sur les bons usages du numérique, « l’hygiène autour du numérique », en s’appuyant sur le contenu de l’association Premiers Cris, association de recherche-action sur la petite enfance. Premiers Cris a réalisé des travaux très poussés sur le numérique et la petite enfance, qu’ils transmettent notamment via un MOOC « Petite culture du numérique » reprenant des entretiens avec une quarantaine d’experts (psychologues, psychomotriciens, enseignants, psychiatres, neuroscientifiques…).
Simplement on estime que « le savoir est le pouvoir », qu’en leur donnant accès à cet apprentissage nous permettons aux enfants d’avoir une posture plus active, moins passive, qu’ils se posent des questions sur leur rapport aux écrans. À la fin de la plupart des activités, nous faisons en sorte que les enfants puissent repartir chez eux avec un support pour faire le lien avec les parents. Cela invite aussi les parents à se questionner, à venir sur notre site.
« Le numérique est à double tranchant, il y a certes des dérives et des risques pour les enfants, mais quand ils grandissent c’est aussi des opportunités d’émancipation économique, des métiers qui recrutent. »
Quel est l’impact, l’apport de COLORI, sur les enfants ?
Les enseignants témoignent des progrès des enfants en logique, en mathématiques, numération. Mais on observe aussi et surtout un intérêt accru des enfants pour le sujet, ce qui est intéressant notamment pour des populations aujourd’hui sous-représentées dans les métiers du numérique.
Le numérique est à double tranchant, il y a certes des dérives et des risques pour les enfants, mais quand ils grandissent c’est aussi des opportunités d’émancipation économique, des métiers qui recrutent.
On voit dans le fait de travailler avec des enfants que le déterminisme de genre n’est pas encore trop à l’œuvre, ce qui est important quand on sait qu’au lycée les filles ne seront plus que 13 % à choisir l’option « Numérique ». L’attrait ou la défiance vis-à-vis de ces sujets commence très jeune.
Qu’est-ce qui, selon vous, doit changer dans l’usage du numérique d’un point de vue éthique ?
Les parents ont évidemment un rôle éducatif majeur à jouer. Il y a plein de recommandations officielles : pas le matin avant l’école, pas le soir, pas dans la chambre (dans des pièces isolées), pas pendant le repas… Il y a aussi une invitation à questionner en tant que parents les trois C : le contenu de ce qu’on propose aux enfants, le contexte (voiture, repas, en famille réunie…) et enfin le contenant (écrans passifs ou interactifs). Notre idée chez COLORI n’est surtout pas de diaboliser les écrans, il y a des choses très intéressantes qui y sont proposées.
Je dirais que le conseil le plus compliqué à mettre en place pour n’importe quel parent, et moi la première, c’est d’être soi-même exemplaire ! L’enfant, et particulièrement le petit enfant, est dans le mimétisme. Ce que fait son père ou sa mère est pour lui ce qu’il convient de faire, si son parent passe sa vie derrière son smartphone, il considérera en grandissant que c’est normal et juste.
Nous-mêmes en tant qu’adultes, avec notre maturité, nous avons du mal à résister à la tentation, imaginons les dégâts sur des cerveaux moins matures.
Amélia Matar
Après avoir travaillé plusieurs années dans le milieu du digital sur des problématiques liées au numérique et à la technologie – notamment chez Greenpeace et Numa -, elle a cofondé COLORI en 2018 avec Perrine Legal (www.colori.fr).
C’est à la naissance de son fils qu’Amélia s’est passionnée pour le sujet de l’éducation et particulièrement pour les pédagogies alternatives. Parallèlement, elle publie en juillet 2022 son premier roman Ainsi naissent les mamans aux éditions Eyrolles, dont le sujet principal est l’éducation et le développement de l’enfant. .