Lettre du confinement n°3
Pour Aristote, “La patience ne se rapporte qu’à la douleur ; et celui qui supporte et endure les maux avec résignation, celui-là est patient et ferme.”* La patience est ici vertu pour vivre avec constance et abnégation les épreuves qui s’inscrivent dans la durée comme celle que nous traversons aujourd’hui avec le coronavirus.
Nous ne sommes pas tous égaux face à l’épreuve. Cette période de confinement semble mettre au jour ou mettre à l’épreuve notre vertu de patience : travailler dans des conditions inhabituelles voire inconfortables ou être contraint à ne plus travailler, supporter l’incertitude du lendemain, supporter le silence de l’isolement, ou encore supporter l’insupportable quand on ne peut accompagner un proche mourant, ou que l’on est obligé de trier les patients faute de place ou de matériel pour tous.
Face à des impatiences bien légitimes, comment goûter une nouvelle patience ? Peut-être en insistant aujourd’hui sur le fait qu’impatiences et patiences peuvent être révélatrices de notre rapport au temps, et ainsi de notre rapport à notre finitude.
Cette crise manifeste la fragilité de notre condition d’Homme et de nos sociétés comme l’impossible maîtrise absolue de nos existences. Nous proposons que ces prises de conscience invitent non pas à se résigner mais à vivre le présent comme source d’éternité et à redécouvrir notre interdépendance, notre fraternité essentielle. Celle-ci pourra être source d’une douceur de la patience dans notre relation – dans le présent – à soi et aux autres. Puisse cette lettre nous y aider.
*Aristote, La Grande Morale, II, VIII, 27
Respirer par l’art
Respirer par la littérature et la philosophie
Fable…
Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
De cette vérité deux Fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d’un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l’étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu’il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu’un aurait-il jamais cru
Qu’un Lion d’un Rat eût affaire ?
Cependant il advint qu’au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Jean de La Fontaine (1621 – 1695), Le Lion et le Rat
… la patience “peut tout” au sens où, par elle, l’homme est capable de plus que de lui-même et reçoit son pouvoir être de ce qu’il attend, de ce qu’il espère. […], il ne s’agit pas de nier la valeur de la persévérance volontaire, mais de souligner qu’elle n’est qu’un impératif hypothétique qui peut servir au bien comme au mal : “tenir le coup” peut aussi signifier faire de son ici un bunker dans un travail de négation du monde. Pour mettre en évidence la valeur absolue de la patience, il était donc nécessaire de mettre en évidence une patience plus originaire, de celui qui, dans l’ignorance de sa place, se trouve là-bas où les choses se donnent, de celui qui sait s’étonner du monde et se laisser enseigner par lui […]
La patience est bien alors à la fois l’ethos du phénoménologue et la vertu de tout homme, car elle consiste à accueillir tout être comme une promesse, ce qui est la forme la plus haute de la responsabilité. La patience est en cela bien cette douceur, cette lucidité de la sensibilité, par laquelle on suspend sa propre volonté pour pouvoir percevoir ce qui se donne. Certes, la patience est une souffrance et non une jouissance, mais heureux les patients, car libérés d’eux-mêmes ils trouveront leur joie dans la générosité même de la manifestation.
En effet, seule la patience peut percevoir le temps de tout être et telle est sa douceur essentielle. En cela, la patience est bien un ethos, mais avant d’être un ethos que l’ego se donne dans son auto-élucidation absolue, elle est un ethos qui vient de la rencontre elle-même, et c’est pourquoi elle est “méta-éthique” pour reprendre un terme de Franz Rosenzweig. Comprendre ainsi la douceur de la patience, qui n’est pas pour autant doucereuse, c’est accéder à l’évidence d’un impératif hétéronomique qui n’est pas servitude.
Emmanuel Housset, La douceur de la patience, La patience retrouvée, in Revue d’éthique et de théologie morale 2008/3 (n°250), p. 23 à 38
Respirer et trouver la patience par la musique
Grandaddy – He’s Simple, He’s Dumb, He’s the Pilot
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