Inspiration pour le soin

par | 28 Avr 2020 | Insertion durable

Lettre du confinement n°6

Quel bel élan, quel dévouement de nos soignants de tous âges qui se sont mobilisés face à la pandémie qui nous frappe ! Ils sont reconnus aujourd’hui comme des héros : ils sauvent des vies mais accompagnent aussi dans la mort, seule présence autorisée auprès de nos mourants. Héros, ils ont pourtant crié depuis plusieurs années les risques que notre système de santé encourait sans être entendus… Espérons en une prise de conscience pour construire l’avenir.

Le soin se révèle aussi dans les nombreuses actions de solidarité développées, dans l’engagement des associations, de responsables d’EHPAD, des aidants proches, qui vivent avec et pour les plus fragilisés de notre société. Ils alertent et témoignent de la composante essentielle du soin qu’est la relation, la rencontre de l’autre dans son mystère singulier et sa dignité. Le soin – relation et ainsi vocation de chacun d’entre nous. Alors déployons toute notre créativité en attention et délicatesse pour « éclairer chaque présence d’un amour à chaque fois unique », pour « compter un par un chaque visage, […], en donnant à chacun la lumière qui lui revient dans cette vie obscure. »*

*Christian Bobin, L’inespérée, Gallimard, 1994, p. 130

Respirer et prendre soin par l’art

Berthe Morisot (1841 - 1895) - Le Berceau - soin
Berthe Morisot (1841 – 1895) – Le Berceau

Respirer par la littérature et la philosophie

Alors voilà.

Quand on est malade, on devient un corps soumis aux mains des autres.

Il y a les mains qui soignent. Elles piquent, elles coupent, elles auscultent, tripatouillent, tirent.  Elles guérissent. Il y a les mains qui portent. Elles lavent et soulèvent. Ce sont des mains tendresse, des mains que l’on serre, des mains qui se donnent. Elles soulagent.

Et puis il y a les mains qui prient et il y a celles qui offrent. Elles lisent, elles massent, elles égrènent, elles nourrissent, elles se lèvent vers le ciel. Elles transportent.

Ces petites mains, ce sont les vôtres, soignants. Elles sont parfois fatiguées mais elles sont merveilleuses.

Ces petites mains, ce sont les vôtres, famille, amis et visiteurs. Elles sont parfois maladroites mais toujours généreuses.

Et ce sont ces mains qui nous ramènent vers le monde des vivants lorsqu’on est malade. Elles nous tirent doucement et nous ramènent à la vie. 

Constance Doussau,  Les mains


Néanmoins cherchons peut-être à entendre la profondeur de l’exigence éthique dans cette intuition d’Emmanuel Levinas parlant de « vocation médicale de l’homme ». Et si ce mot de Levinas nous invitait à chercher du côté d’une « inquiétude éthique », d’une impossible quiétude du savoir, du vouloir, du pouvoir ?

Se laisser guider vers la découverte d’un penser autrement, par un dessaisissement, un décentrement, un au-delà de la seule quête d’un corpus définitif de savoirs, de vouloirs, de pouvoirs sécurisants. Oser se laisser prendre par l’autre, le souffle coupé dans le retournement des certitudes que provoque le visage de celui qui souffre, qui appelle : le courage éthique est là. […]

Évoquer ainsi le sens d’une vie consacrée au soin d’autrui, c’est évoquer une visée éthique, et non pas un état de fait ou un statut. Il s’agit d’un projet de vie, d’une quête quotidienne. Il s’agit d’un chemin difficile, car ce qui est en jeu exige beaucoup plus que le pas, pourtant majeur, du changement du regard que l’on porte sur la personne malade ou en perte d’autonomie. Il s’agit d’aller jusqu’à accepter que l’autre puisse changer mon regard avant même que je n’en formule la volonté altruiste.

Si en effet le regard humain peut déshumaniser, inversement, il n’est pas d’une certaine manière en son pouvoir d’humaniser, de juger de l’essence humaine ou non d’autrui. A l’heure ou la souffrance du malade fait obstacle à ce que je croyais être sa dignité, ou tout semble échapper à l’entendement commun des normes standardisées de vie réussie, il s’agit de découvrir que ce n’est pas moi le juge de l’humanité de l’autre. La personne malade n’a pas besoin de moi pour se savoir humaine dans son intimité ! C’est elle en réalité qui me fait advenir à mon humanité en fissurant mon ego que je croyais seul constitutif de moi-même.

Épreuve décisive que cette épiphanie d’humanité lorsque vient à nous une altérité radicale …

Alain Cordier, in Ethique, Médecine et Société, éd. Emmanuel Hirsch


Fable…

Certain Ours montagnard, Ours à demi léché,
Confiné par le sort dans un bois solitaire,
Nouveau Bellérophon vivait seul et caché :
Il fût devenu fou ; la raison d’ordinaire
N’habite pas longtemps chez les gens séquestrés :
Il est bon de parler, et meilleur de se taire,
Mais tous deux sont mauvais alors qu’ils sont outrés.
               Nul animal n’avait affaire
               Dans les lieux que l’Ours habitait ;
               Si bien que tout Ours qu’il était
Il vint à s’ennuyer de cette triste vie.
Pendant qu’il se livrait à la mélancolie,
               Non loin de là certain vieillard
               S’ennuyait aussi de sa part.
Il aimait les jardins, était Prêtre de Flore,
               Il l’était de Pomone encore :
Ces deux emplois sont beaux. Mais je voudrais parmi
               Quelque doux et discret ami.
Les jardins parlent peu, si ce n’est dans mon livre;
               De façon que, lassé de vivre
Avec des gens muets notre homme un beau matin
Va chercher compagnie, et se met en campagne.
               L’Ours porté d’un même dessein
               Venait de quitter sa montagne :
               Tous deux, par un cas surprenant
               Se rencontrent en un tournant.
L’homme eut peur : mais comment esquiver ; et que faire ?
Se tirer en Gascon d’une semblable affaire
Est le mieux. Il sut donc dissimuler sa peur.
               L’Ours très mauvais complimenteur,
Lui dit : Viens-t’en me voir. L’autre reprit : Seigneur,
Vous voyez mon logis ; si vous me vouliez faire
Tant d’honneur que d’y prendre un champêtre repas,
J’ai des fruits, j’ai du lait : Ce n’est peut-être pas
De nosseigneurs les Ours le manger ordinaire ;
Mais j’offre ce que j’ai. L’Ours l’accepte ; et d’aller.
Les voilà bons amis avant que d’arriver.
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble ;
               Et bien qu’on soit à ce qu’il semble
               Beaucoup mieux seul qu’avec des sots,
Comme l’Ours en un jour ne disait pas deux mots
L’Homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage.
L’Ours allait à la chasse, apportait du gibier,
               Faisait son principal métier
D’être bon émoucheur, écartait du visage
De son ami dormant, ce parasite ailé,
               Que nous avons mouche appelé.
Un jour que le vieillard dormait d’un profond somme,
Sur le bout de son nez une allant se placer
Mit l’Ours au désespoir ; il eut beau la chasser.
Je t’attraperai bien, dit-il. Et voici comme.
Aussitôt fait que dit ; le fidèle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Casse la tête à l’homme en écrasant la mouche,
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur :
Roide mort étendu sur la place il le couche.
Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ;
               Mieux vaudrait un sage ennemi.
Jean de La Fontaine (1621 – 1695), L’ours et l’amateur de jardins

Vouloir connaître le patient, cela permet d’entendre, d’écouter, de lire, de discerner l’indicible, d’approcher le secret de nos vies. Ainsi, le colloque médecin-malade est la rencontre d’une science et d’une conscience, c’est surtout la rencontre de deux libertés, de deux responsabilités. Le soignant n’a pour seule responsabilité que d’accompagner le patient sur la route qu’il dessine lui-même pp.47-48 (…)

Vouloir soigner c’est vouloir que ce feu intérieur retrouve sa vitalité, sa liberté. Souhaiter le contraire serait une transgression. Comme soignants, nous devons prendre le risque de penser en grand, en nous ouvrant à une altérité qui certainement nous libérera. (…)

La mission de soignants est cette remise en liberté vers un « pour quoi ». Le besoin premier de tout homme n’est-il pas avant tout d’être reconnu comme un être spirituel dans toute sa dignité et ce malgré les blessures de la maladie et les cabossages de la vie ? » La guérison est à ce niveau. Le soignant est présent pour accompagner avec discrétion cette quête de sens, ce nouveau « pour quoi » faire. pp.60-61

Vouloir faire le bien, c’est accepter le risque éventuel d’une éthique de la transgression. p.64 (…)

La cohérence du soin ne trouve sa source que dans la tenue de ce « et » qui lie le savoir et le connaître. Savoir universel et connaissance particulière limitée se lient pour soigner. Le « care-connaissance (altérité) » vient accomplir le « cure-savoir technique » pour donner tout son sens et sa force au soin. p.80

Bertrand Galichon, L’esprit du soin, Bayard, 2019

Respirer et prendre soin par la musique

Fragile – Sting

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