Leur voix, qui l’entendra ?

par | 25 Mar 2024 | Accès à la culture pour tous

Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en décembre 2023-mars 2024

Clémence et Raphaëlle ont mis en place des maraudes qui n’apportent ni pain, ni couverture, ni chocolat chaud mais de la musique ! Leur démarche a vite rencontré du succès et, appuyé sur un réseau d’étudiants florissant, la mélodie s’est répandue de villes en villes, de cœurs en cœurs… L’une des cofondatrices témoigne.

Silencieux, immobiles, à la rue, sans abri. Une détresse humaine, la plus manifeste peut-être. Celle que nous rencontrons à chaque fois que nous empruntons une rue. Si cette pauvreté est d’abord financière, elle devient rapidement sociale, et engendre un isolement complet. Une humanité privée de relations est-elle vraiment humaine ? C’est à cette pauvreté relationnelle que nous avons voulu remédier en créant l’association Y’a d’la joie il y a quatre ans, lorsque nous étions en classe de terminale. Nous étions lycéens, et sommes maintenant étudiants, nous ne pouvons pas sauver les sans-abris de leur pauvreté, mais nous avons quelque chose à leur apporter. La joie bouillonne dans nos cœurs, et cette joie nous avons décidé de la donner. 

Déterminés à écouter leur voix, nous sortons de chez nous munis de nos guitares, de nos enceintes et de nos chants, et nous allons à leur rencontre. « Vous aimez la musique ? » Rares sont les personnes qui nous répondent non. S’ensuivent alors des discussions animées sur tel chanteur, tel groupe de musique. L’un fredonne l’air, l’autre retrouve des bribes de paroles, et une fois la musique reconnue, nous l’entonnons ensemble. Des souvenirs remontent, l’émotion en gagne certains, d’autres ne retiennent pas l’envie de danser qui les démange. La musique nous ayant mis sur un pied d’égalité, des portes s’ouvrent. Des discussions plus profondes s’amorcent. Stéphane nous raconte son histoire familiale tumultueuse, une larme à l’œil. Florence est trop émue pour parler. Les chansons de Johnny Hallyday permettent à Alain d’exprimer ce qu’il a au fond du cœur en évitant de se confronter au récit de sa vie. Fred nous livre les sages réflexions qu’il a retirées de la sienne. Et ce sont leur voix que nous écoutons à présent.

Déterminés à écouter leur voix, nous sortons de chez nous munis de nos guitares, de nos enceintes et de nos chants, et nous allons à leur rencontre.

Ces voix, nous avons voulu les faire entendre. En 2021, nous nous sommes lancés dans un projet fou : réaliser un album de musique avec les personnes de la rue. Aidés par la Fondation Notre-Dame nous avons écrit en un an, à l’aide de chanteurs et de chanteuses professionnels, huit titres réunis dans un album, que nous avons intitulé Vivace. Les chansons ont ainsi été écrites, inspirées, ou chantées par des sans-abris. Volonté de faire passer un message ou simplement de développer sa créativité, tout était permis. Notre seul objectif était de faire entendre leur voix, et de le faire en musique. Grâce à de nombreux médias, l’album a été beaucoup écouté. Quelle joie d’entendre Gérard (un sans-abri ayant participé à l’écriture d’un des titres) nous raconter que des personnes s’étaient arrêtées dans la rue pour le féliciter, pour lui dire que sa musique était géniale et qu’ils l’écoutaient tous les jours !

Nous comptons plus de 300 bénévoles, tous prêts à donner de leur temps et de leur énergie pour apporter de la joie au monde !

La cause que nous défendons aujourd’hui a ainsi gagné de nombreuses personnes qui ont décidé de nous rejoindre et de créer des antennes dans leur propre ville. Y’a d’la joie voit alors le jour à Angers, Lyon, Marseille, Toulouse, Rouen, Bordeaux, Nantes, Lille, Poitiers et Versailles, et les maraudes musicales se multiplient, à notre plus grande joie évidemment ! Nous comptons plus de trois cents bénévoles, tous prêts à donner de leur temps et de leur énergie pour apporter de la joie au monde. L’engagement d’au minimum une maraude par mois, se combine en effet assez bien avec une vie étudiante.

Nous savons que chanter avec des sans-abris ne les sortira pas de la misère. La musique ne supprimera pas la pauvreté, nous n’avons pas la prétention ni la naïveté de l’affirmer. Mais si elle ne peut pas supprimer la pauvreté, elle peut lui faire changer de visage. Elle peut briser la distance qui nous en sépare et qui l’aggrave. Elle peut faire grandir une solidarité naturelle et joyeuse. Elle peut redonner de l’espoir en ravivant une humanité qui semble perdue. Et puis tout simplement, elle crée des moments de joie, même fugaces. Alors pourquoi s’en priver ? Qu’attendons-nous pour chanter ? Venez et vous verrez à quel point y’a d’la joie… 

Raphaëlle Brière

Étudiante en master de philosophie à la Sorbonne, elle a cofondé en 2019 avec Clémence de Calonne l’association Y’a d’la joie, une association caritative qui consiste à apporter de la joie par la musique aux personnes en situations de précarité. Raphaëlle est bénévole auprès de UP for Humanness.

Poursuivez votre lecture 📖

Les politiques culturelles, valeur sûre d’un monde toujours plus incertain

Cet article met en lumière l’importance des politiques culturelles dans un monde en constante évolution et incertitude. Il souligne la nécessité de préserver, diffuser et encourager l’accès à la culture pour tous, conformément au modèle français du “droit à la culture”.

Propositions pratiques : l’art et la culture peuvent-ils sauver le monde ?

Dans cet article, Diane d’Audiffret explore le rôle crucial de l’art et de la culture dans la société contemporaine, se demandant si ces domaines peuvent véritablement contribuer à “sauver le monde”. Elle commence par interroger la nature de l’art et de la culture, se demandant s’ils sont un luxe réservé aux privilégiés ou s’ils offrent des bienfaits accessibles à tous. À travers un poème de Sabine Sicaud, elle souligne le pouvoir du silence et de la contemplation dans notre monde bruyant et frénétique.