Inspiration pour l’essentiel

par | 30 Nov 2020 | Insertion durable

Essentiel mon commerce de proximité ? essentiel le fleuriste ? le théâtre, le cinéma, le musée ? Fermeture des commerces, chômage partiel voire total lors des confinements pour les activités dites « non essentielles »… « Nous vaincrons cette pandémie quoiqu’il en coûte »…

Que risquons-nous d’entendre ? Que la grande majorité des activités professionnelles qui nous animent et nous occupent à raison de 10 heures par jour ne sont pas essentielles aux êtres que nous sommes et à la société ? Que tout ce qui n’a pas directement trait à notre santé physique serait superflu ?

A l’heure où d’aucuns semblent séparer selon un schéma bien découpé ce qui est essentiel dans nos vies, pour nos vies, de ce qui ne l’est pas, nous nous interrogeons. Nous avons certes redécouvert l’infinie nécessité de certains métiers trop souvent méprisés jusque-là : aides-soignants, caissiers, livreurs. Mais pouvons-nous pour autant définir ce qui est essentiel pour chacun de nous, êtres « divers et ondoyants* », pétris de naturel et de spirituel, mus par nos liens aux autres et nos émotions ?

Sans remettre en cause l’indispensable prudence pour éviter un triage inhumain dans des hôpitaux saturés, ou la nécessité d’assurer nos besoins primaires d’alimentation et de sécurité, … nous invitons par la musique, la poésie et la réflexion d’auteurs à nous rappeler que l’essentiel, pour chacun, reste « invisible pour les yeux** » et est reflet de son mystère et de sa liberté.

* Michel de Montaigne

** Antoine de Saint-Exupéry


S’inspirer par l’art pour retrouver l’essentiel

Camille Claudel - La valse, une oeuvre pour retrouver l'essentiel
La valse, Camille Claudel (1864-1943), 1883 à 1901

Camille Claudel aurait pu ne jamais être connue du grand public. Et nous aurions manqué ses œuvres réalistes, sensuelles, aériennes.

Cette valse symbolise sa folle passion pour son maître et amant Auguste Rodin et le tourbillon que cette relation signifiait, toujours à la limite de la chute…


Respirer par la poésie…

[…]

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Paul Éluard (1895 – 1952), 1942


Amis, je me remets à travailler ; j’ai pris
Du papier sur ma table, une plume, et j’écris ;
J’écris des vers, j’écris de la prose ; je songe.
Je fais ce que je puis pour m’ôter du mensonge,
Du mal, de l’égoïsme et de l’erreur ; j’entends
Bruire en moi le gouffre obscur des mots flottants ;
Je travaille.

Ce mot, plus profond qu’aucun autre,
Est dit par l’ouvrier et redit par l’apôtre ;
Le travail est devoir et droit, et sa fierté
C’est d’être l’esclavage étant la liberté.
Le forçat du devoir et du travail est libre.
(…)
Je travaille. A quoi ? Mais… à tout ; car la pensée
Est une vaste porte à chaque instant poussée
Par ces passants qu’on nomme Honneur, Devoir, Raison,
Deuil, et qui tous ont droit d’entrer dans la maison.
(…)
Le travail, cette chose inexprimable, faite
De vertige, d’effort, de joug, de volonté,
Vient quand nous l’appelons, nous jette une clarté
Subite, et verse en nous tous les généreux zèles,
Et, docile, ardent, fier, ouvrant de brusques ailes,
Écartant les douleurs ainsi que des rameaux,
Nous emporte à travers l’infini, loin des maux,
Loin de la terre, loin du malheur, loin du vice,
Comme un aigle qu’on a dans l’ombre à son service.

Victor Hugo (1802-1885), in Toute la lyre


…la littérature…

La science efface des frontières. Elle les rend floues. Frontières entre la matière et le vivant… entre l’animal et l’humain… entre le corps et l’esprit… Elle transforme ces frontières en seuils, en transitions… Frontières anciennes, qui séparaient. Frontières nouvelles, lieux de passage, d’émergence, de transformation, de métamorphoses…

Mais ces transmutations, dans ces métamorphoses, le vivant est toujours autre que la matière qui le compose, l’humain est toujours autre que le vivant dont il émerge, et la vie intérieure, la conscience, la mémoire et les rêves vivent de leur propre existence dans et hors de ce corps qui les fait naître et qu’ils animent.

Nous sommes faits de poussière d’étoiles, mais ce qui brille en nous est d’une autre nature que ce qui brille dans les étoiles.

Et comme les étoiles, « nous ne traversons ce monde qu’une fois », disait Gould. À notre manière unique et singulière. Vivante et humaine.

Jean-Claude Ameisen, Dans la lumière et les ombres. Darwin et le bouleversement du monde, 2008


…le témoignage essentiel…

Tous, nous étions nus. Si cela n’était pas tout à fait vrai physiquement, cela l’était réellement. Pas de grade, pas de dignité, pas de fortune. On nous avait confisqué toutes nos apparences. Chaque bonhomme réduit à lui-même, à ce qu’il était pour de bon : cela faisait, croyez-moi, un vrai prolétariat.

Il fallait pourtant bien se retrouver dans la foule, savoir à qui parler. Le camp, c’était le baquet de la sorcière : pêle-mêle on y avait jeté le moine bénédictin, le berger kirghize qui, trois fois par jour, priait Allah face contre terre, le professeur de la Sorbonne, le maire de Varsovie, le contrebandier espagnol, ceux qui avaient tué leur mère, ceux qui avaient violé leur fille, ceux qui s’étaient fait arrêter pour empêcher la mort de vingt autres, les savants, les simples d’esprit, les héros et les lâches, bref les bons et les mauvais. Seulement – il fallait s’y faire – toutes ces catégories-là étaient mortes. Nous étions entrés dans un autre monde. […]

Nous avions nos riches à Buchenwald. (…) Leur richesse n’était pas faite de courage. Le courage, c’est toujours suspect, ou alors c’est la conséquence d’autre chose. Les riches, c’étaient ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ne pensaient pas à eux-mêmes, ou bien alors y pensaient rarement, pendant une minute ou deux, en cas d’urgence. C’étaient ceux qui avaient renoncé à cette idée absurde que le camp de concentration, c’était la fin de tout, un morceau d’enfer, une punition injuste, un tort qui leur était fait et qu’ils n’avaient pas mérité. C’étaient ceux qui avaient faim, froid et peur comme tout le monde, qui n’hésitaient pas à le dire, à l’occasion (pourquoi cacherait-on des choses aussi vraies), mais qui finalement s’en moquaient. Les riches, c’étaient ceux qui n’étaient pas là.

Jacques Lusseyran, Et la lumière fut, 2016

Ce que j’ai vécu fait que mon approche de la musique ne peut pas être intellectuelle. Ce que je cherche en jouant, c’est à parler aux gens, à leur dire quelque chose, à leur montrer toutes les beautés d’une œuvre, à les toucher. Aussi le public est-il essentiel pour moi. Certains de mes confrères déclarent jouer pour eux plutôt que pour le public. Lorsque je joue, mon but est au contraire de partager avec lui. L’humanité est la vérité de la musique. Ce qui compte, c’est cette personne, là, qui n’est pas musicienne et que ce soir, peut-être, je vais réussir à toucher, à qui je vais faire entrevoir une partie de son humanité que jusqu’ici elle ignorait, peut-être, et qui la conduira, qui sait, un jour elle aussi à dire : « Non ! » lorsqu’elle comprendra que l’essentiel est en jeu.

Zhu Xiao-Mei, La Rivière et son secret, 2007


La philosophie pour interroger l’essentiel

C’est d’une hétérogénéité kaléidoscopique qu’il faudrait parler pour le bien rendre compte, les proportions d’être et d’avoir, d’esprit et de nature, de mêmeté et d’altérité ne cessant de changer en lui. Car bien que je n’aie qu’un corps et qu’on le dise « propre » il est le lieu de tant de métamorphoses que même en mon corps « propre » se fait sentir le sourd travail de l’autre.

Ni le monisme ni le dualisme ne rendent justice à cette hybridité, cette bâtardise, ce caractère ondoyant, divers, bariolé, bigarré de l’humaine condition. Car oui en l’homme s’unissent le corps et l’âme et au-delà en lui le naturel et le spirituel. (…)

Or l’union en l’homme du naturel et du spirituel n’est pas statique, mais dynamique. Il n’y a pas une partie de l’homme qui serait naturelle, une autre spirituelle. Il est créature définitivement impure parce qu’en lui le corporel et le spirituel ne cessent de s’unir puis de se séparer, nulle synthèse ne pouvant jamais durablement les harmoniser (…) une corporéité toujours déjà orientée vers l’esprit, une spiritualité toujours encore plongée dans le corps.

Eric Fiat, Corps et âme. Ou : qu’un peu d’incarnation, ça peut pas faire de mal…, 2015


La plus haute culture de l’âme reste aride et stérile au fond, à moins que ces petites rencontres ne reçoivent de nous ce qui leur revient et sécrètent, jour après jour des eaux vives qui irrigueront l’âme, de même qu’en son fonds intime la puissance la plus immense n’est qu’impuissance si elle n’est pas secrètement l’alliée de ces contacts tout à la fois humbles et secourables avec un étant étranger et pourtant proche.

Martin Buber , Le chemin de l’Homme, 1948


Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. – L’essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit prince, afin de se souvenir. – C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. – C’est le temps que j’ai perdu pour ma rose… fit le petit prince, afin de se souvenir. – Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l’oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose… – Je suis responsable de ma rose… répéta le petit prince, afin de se souvenir.

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Chap. 21, 1943


…la minute philosophique

Le 27 avril dernier, Géraldine Mosna-Savoye nous invitait à réfléchir à la notion d’essentiel dans son journal de la philo.


S’inspirer par la musique et retrouver l’essentiel

disques vinyl pour retrouver l'essentiel par la musique

La musique de l’inspiration de cette semaine nous est offerte par Masaka Kids Africana, Plus que de la musique, c’est une invitation à la danse que nous propose ce collectif d’enfants ougandais, issus d’orphelinats du pays.

Une énergie magique, un regard brillant, la joie, l’essentiel !

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