Article publié dans la revue Pour un monde plus humain de UP for Humanness en décembre 2023-mars 2024
Zoé Noël et Fodé Sylla sont les cofondateurs de l’association L’Art(sans)Frique qui valorise et transmet l’art africain. Tous les deux engagés dans la vie culturelle ivoirienne, ils témoignent de ce en quoi art et culture y sont sources d’innovation et de rayonnement, aussi bien d’un point de vue national qu’international.
« Babi1 est le plus doux au monde, mais Babi est dur ! »
Voici ce qui peut résumer l’état d’âme de cette ville monde en une phrase : de l’humour, une francophonie ouverte qui s’assume et un paradoxe énorme entre une ville qui symbolise tous les possibles et les difficultés réelles de chacun pour survivre dans cette mégalopole aussi bruyante que dense, où les inégalités économiques et sociales ne cessent de se creuser.
Et pourtant rien n’arrête Abidjan, cette fabrique à rêves qui compte environ 630 entreprises culturelles et créatives, soit 4 % du PIB du pays.
Ici, les cultures sont à la mode. Qu’il s’agisse de galeries d’art, de salle de cinéma (Pathé est en train de s’installer) et plus largement de créations audiovisuelles ou de festivals (le pays en compte 600), la Côte d’Ivoire possède une scène culturelle en pleine effervescence qui permet l’existence d’un marché national important et la reconnaissance internationale de nombreux talents ivoiriens qui font régulièrement parler d’eux.
Que celles et ceux qui se sont arrêtés à Alpha Blondy ou Tiken Jah Fakoly revoient leurs copies car chaque année de nouvelles figures ivoiriennes défraient la chronique par leur talent et leur créativité.
On citera, par exemple, la styliste LaFalaise Dion qui a notamment habillé Beyonce avec une coiffe en cauris2, Aboudia le peintre contemporain dont la cote ne cesse de monter ou encore le cinéaste Philippe Lacôte, dont le chef d’œuvre la Nuit des Rois a été nominé aux Oscars. Et si parler d’Abidjan n’est pas parler de la Côte d’Ivoire, on peut quand même se demander si le paradoxe de cette ville – prise dans un tourbillon de modernité et cherchant à se reconnecter à ses traditions – ne dessine pas un des fils rouge de cette nouvelle scène culturelle ivoirienne.
En effet, beaucoup d’artistes et d’entrepreneurs culturels s’emparent des enjeux historiques du continent africain et cherchent à s’affranchir des codes et perspectives néocoloniales en proposant de nouveaux modèles et de nouveaux imaginaires, souvent emprunts d’un passé encore trop confidentiel.
Afrikatoon créateur de dessins animés met ainsi en avant des figures comme celles de la reine Pokou, à l’origine de l’empire Baoulé ou de Soundiata Keita, fondateur de l’empire mandingue.
Des films sur les guerrières du Dahomey, ou sur les luttes anticoloniales ont de beaux succès au box-office et plus largement ouvrent la brèche de nouveaux récits dans lesquels les vaincus d’hier racontent leur propre version de l’histoire.
Mais il ne s’agit en rien de propos revanchards ou victimaires. Il semble simplement que la scène ivoirienne, même si elle est en dialogue constant avec les autres scènes artistiques mondiales et particulièrement occidentales, s’en détache pour mieux panser ses blessures et penser le monde à partir d’elle-même.
1 Babi, surnom de la capitale économique du pays Abidjan 2 Cauris, coquillages traditionnels africains qui a longtemps servi de monnaie.
Zoé Noël
Diplômée en histoire de l’art et littératures comparées, elle travaille dans le secteur culturel depuis une dizaine d’années et vit en Côte d’Ivoire depuis 5 ans. Responsable communication et partenariats à l’Institut français de Côte d’Ivoire, elle a également co-fondée l’Art(sans)frique, une structure d’accompagnement qui œuvre à la mise en valeur du patrimoine et des artistes de Côte d’Ivoire.
Fodé Sylla
Diplômé en Animation sociale, Mohamed Yaraguilé Sylla dit Fodé Sylla est co-fondateur de l’association l’Art(sans)frique, qui œuvre à la promotion et la diffusion des cultures africaines. Directeur de la programmation des expositions au MuCAT (musée des cultures contemporaines Adama Toungara d’Abobo), Fodé Sylla a pour mission de faciliter l’accès à la culture et aux beaux-arts pour les populations défavorisées et fait la promotion de l’art contemporain.